Avec plus de 150 000 kilomètres de rail revendiqués, la Chine se classe au second rang mondial des pays ayant le plus important réseau ferré de la planète, après les Etats-Unis. Mais ce n’est pas tout. En plus de s’impliquer dans des projets ferroviaires un peu dingues en Amérique du Sud, l’Empire du Milieu domine surtout largement le classement des réseaux Grande Vitesse puisqu’il en compte, selon les autorités chinoises, plus 40 000 kilomètres, avec l’objectif de passer à 70 000 kilomètres à horizon 2035. A l’intérieur de cette immensité ferrée, se trouve toutefois une ligne extrêmement particulière : la ligne à Grande Vitesse entre Lhassa et Nyingchi, aussi appelée Linzhi, ouverte depuis le 25 juin 2021 et dont la quasi-totalité du parcours se situe à plus de 3 000 mètres de haut. C’est à son bord que nous vous emmenons aujourd’hui.
Imaginez un peu. Vous êtes sur le quai de la gare de Nyingchi, une ville-préfecture de la région autonome du Tibet (l’une des cinq que compte la République populaire de Chine). Devant vous, un train hors-norme s’apprête à partir en direction de la ville de Lhassa, perchée à environ 3650 mètres d’altitude. Il s’agit de l’un des deux trains à Grande Vitesse de la China Railway, la compagnie ferroviaire nationale de la République Populaire de Chine, qui ont été mis en exploitation depuis 2021 pour rejoindre cette cité mythique. Bien qu’il ne se déplace qu’à 160 kilomètres/heure, contre 350 kilomètres/heure sur les autres lignes à Grande Vitesse chinoises, il vous permettra de rallier la capitale du Tibet en moins de trois heures et demie, contre cinq heures avant sa mise en exploitation.
Si le gain peut sembler faible, la Chine compte pourtant dessus pour dynamiser le tourisme et l’économie dans cette partie de son territoire. Selon Global Times, un organe de presse du gouvernement chinois, cette ligne devrait en effet permettre de transporter jusqu’à 10 millions de tonnes de fret par an. Celle-ci a également pour objectif de désenclaver la région autonome du Tibet qui, créée en 1965, fait encore l’objet d’une controverse dans laquelle nous n’entrerons pas ici. Et pour cause, la ligne Lhassa-Nyingchi devrait être étendue jusqu’à la ville de Chengdu, capitale de la Province du Sichuan, ce qui la porterait de 435 kilomètres à 1 629 kilomètres. Son budget passera quant à lui de 5,6 milliards de dollars à près de 37 milliards de dollars.
Si vous montez dans ce train en direction du toit du monde, vous découvrirez toutefois que ces chiffres-là ne sont pas les plus impressionnants. D’abord, il faut savoir que 90% du tracé entre Nyingchi et Lhassa se situe à plus de 3 000 mètres de hauteur et que, plus fou encore, il passe à son point culminant à 5 100 mètres de haut. Ce qui, vous l’aurez deviné, offre une vue hallucinante aux passagers qui l’empruntent : des vallées encaissées où coulent d’immenses rivières, des sommets montagneux parmi les plus hauts de la planète, des cascades tempétueuses, des neiges éternelles qui semblent intouchées par l’homme.
Mais pour vous emmener si haut, la Chine a dû réaliser une prouesse technique hors-du-commun. Malgré la taille relativement courte de cette ligne, elle ne compte pas moins de 47 tunnels et 121 ponts. L’un d'eux ferait d’ailleurs pâlir de jalousie notre bien aimé Gustave Eiffel : le Zangmu Railway Bridge, un pont en arc, long de 525 mètres. Au total, environ 75% du tracé de la ligne Lhassa-Nyingchi passe par l’un de ces édifices creusés ou construits, ce qui lui permet de franchir des pics montagneux atteignant eux plus de 8 000 mètres d’altitude.
Vous vous en doutez peut-être mais à de telles hauteurs, et dans de telles conditions, vous risquez rapidement de manquer d’oxygène. Les ingénieurs chinois ont donc doté ce train des cîmes d’un système automatisé permettant de maintenir le taux d’oxygénation des cabines à environ 23,6%, contre environ 21% dans l’air normal. Et ce n’est pas tout. Ce train se tortille si haut qu’il a fallu équiper ses fenêtres de filtres UV puisque les rayonnements solaires sont 30% plus élevés sur le plateau tibétain qu’ailleurs, altitude et réverbération de la neige obligent.
Voilà, c’est bon, vous avez toutes les informations nécessaires pour ce voyage unique, il ne vous reste qu’à monter dans ce train, que ce soit par le corps ou par l’esprit. Dans trois heures trente, et après être passés par les neufs stations de son parcours, vous arriverez sur le toit du monde, dans l’un des endroits les plus mystiques de notre planète. Le genre de rêve auquel seul une voie ferrée peut donner accès avec tant d’élégance.