Romain Payet — Vous l’avez compris, nous avons fait une erreur en nous adressant à des fonds de capital-risque. Même en devenant asset light, même en nous débarrassant de la partie industrielle du projet, nous n’entrons pas dans leurs thèses d’investissement. Même si nous sommes à une époque où les capitaux affluent en direction des start-up construites autour d’un software, ils ne mettront pas la main au portefeuille. Même si ces entreprises en sont au même niveau de maturité que nous, il n’y a définitivement rien à faire.
Adrien Aumont — Le désintérêt des VCs a une autre conséquence. En effet, parallèlement à notre roadshow, nous avons contacté de nombreux business angels, des particuliers fortunés qui investissent dans des entreprises auxquelles ils croient. Ils n’ont pas de thèse d’investissement, ils suivent leur cœur d’entrepreneur. Ils soutiennent les projets qui leur parlent, qui leur donnent envie, ou qui dessinent un futur auquel ils croient. Et auprès d’eux, nous faisons mouche. Presque tous ceux avec qui nous parlons veulent mettre un ticket. De petites sommes en général mais mises bout à bout, avec le capital investi par nos actionnaires initiaux, cela commence à être conséquent. Seul problème, ces sommes ne sont pas transférées sur nos comptes, elles sont promises en attente qu’un fonds de capital-risque s’engage en tant que leader du financement. Malgré la dimension affective de l’engagement des business angels, ils se rangent dernière l’analyse et la volonté d’un fonds.
Romain Payet — Bref, à ce stade, les choses ne semblent pas particulièrement bien engagées. Après les dernières réponses négatives, nous transmettons comme chaque mois nos conclusions à nos actionnaires lors du reporting mensuel. Or, en lisant ces informations, l’un deux a une idée. Il nous appelle et nous dit que nous avons fait fausse route. Selon lui, nous ne devons pas nous adresser à des fonds de capital-risque mais à des fonds d’infrastructures. Cet actionnaire est associé au sein de l'un d’eux et il nous propose donc d’avancer avec nous sur le sujet ainsi qu’avec ses équipes d’investissement.
Nous n’avons pas pensé à ce genre d’investisseurs car il s’agit d’un univers financier très différent du nôtre. Pourtant, ils ont beaucoup de qualités pour Midnight Trains que n’ont pas les VCs. Tout d’abord, ils achètent des actifs lourds : des ports, des aéroports, des autoroutes, ce genre de choses. Ils sont donc capables de mobiliser des sommes énormes, ils travaillent sur le temps long, parfois une cinquantaine d’années. Ils n’ont pas peur des deux années de construction des trains. Aucun port ni aucune autoroute ne se construit du jour au lendemain. Enfin, ils ont des exigences de rendement plus modérées que les VCs.
Avec ce fonds, nous commençons donc à établir un scénario dans lequel il finance l’ensemble du projet. La stratégie de ce type d’acteur ne consiste pas à investir quelques millions d’euros et à prendre une place minoritaire, dans l’ombre de la direction. C’est même tout l’inverse. Ils nous disent rapidement qu’ils sont prêts à couvrir tous nos besoins — les trains et le lancement de la première ligne — mais que nous avancerons tous ensemble. Eux et nous ensemble, pendant trente ans. Comme une équipe. L’idée nous séduit, elle nous plaît même beaucoup. Notre seule réserve tient au fait que nous ne voulons pas mettre la ROSCO à l’écart. S’engage alors une conversation entre celle-ci et le fonds d’infrastructure avec lequel nos échanges progressent. A deux, ils arrivent à un accord sur la manière dont ils vont se partager le gâteau. Pour tout dire, ce nouveau scénario rassure grandement la ROSCO. Son comité d’investissement est emballé par le discours du fonds d’infrastructures : ils annoncent qu’ils ne lâchent jamais leurs participations et qu’ils ont les poches assez profondes pour aller jusqu’au bout de cette aventure.
Adrien Aumont — Cette période d’échanges avec ce nouveau partenaire potentiel est stimulante pour nous. Nous avons affaire à des gens brillants, solides, qui passent tout notre modèle économique au peigne fin et nous font avancer. S’ils nous prennent aussi au sérieux, c’est que nous ne sommes pas fous, qu’il y a quelque chose derrière ce projet, malgré les refus précédents.
Nicolas Bargelès — Nous ne sommes pourtant pas au bout de la route. Malgré leurs qualités, malgré le fait qu’ils soient habitués aux modèles concessifs et au leasing d’actifs, ils n’ont pas l’habitude de travailler avec des start-up. Les montants que nous demandons sont même trop petits pour eux. C’est un comble.
Romain Payet — En général, les fonds d’infrastructures s'impliquent dans les projets de grosses entreprises déjà matures. Des géants de leur secteur qui ont besoin d’un nouvel actif. Les équipes d’investissement n’aiment pas que ce projet sorte de l’eau, que nous ne soyons pas déjà des opérateurs ferroviaires. Tant et si bien qu’ils vont finir par dire non. Ils sont effrayés par le profil de Midnight Trains et, pour la plupart, ils n’ont pas réussi à se persuader qu’investir dans des actifs ferroviaires soit judicieux pour eux. Mais peu importe. Maintenant que nous avons en tête ce scénario d’un trio fonds d’infrastructure, ROSCO et nous, nous n’allons pas reculer. Nous allons même aller taper à toutes les portes du secteur.