Romain Payet — Lorsqu’on recrute dans une équipe, c’est toujours pour la même raison, pour combler une carence. Cette carence peut être un manque de muscle dans une équipe de développeurs, une lacune sur un point technique ultra précis et bien d’autres choses encore. Mais dans notre cas, il s’agissait d’un manque de connaissances techniques et d’expérience dans le ferroviaire. Ce qui nous a mené au recrutement de Nicolas Bargelès, comme nous l’avons expliqué au cours des deux épisodes précédents. Et on peut dire que, dès son arrivée, il a challengé notre vision, sur bien des choses.
La première chose à préciser est que Nicolas a toujours partagé notre vision de Midnight Trains, le concept fondamental de l’entreprise ainsi que son esprit. Je veux dire par là qu’il n'est pas arrivé en disant : “Bon, les gars, il faut tout changer pour que ça marche !”. Il est beaucoup trop fin et trop intelligent pour ça. Disons plutôt qu’il a progressivement mis le nez dans le moteur de notre projet et qu’il a pointé de petits détails en nous expliquant comment nous pourrions améliorer notre fonctionnement. Pris un par un, ces petits points n’ont l’air de rien. Mais mis bout à bout, cela représente un énorme gain de temps et une très importante économie d’énergie.
Adrien Aumont — Il est toutefois important de préciser qu’au-delà de ces points, Nicolas nous a aussi challengé sur une question fondamentale : devons-nous devenir une entreprise ferroviaire ou pas ? Pour résumer, devons-nous opérer nos propres trains ou les faire tracter par quelqu’un d’autre ? Car, pour ceux qui l’ignoreraient, de nombreuses entreprises, notamment les compagnies de trains dit de “croisière”, ne sont pas des entreprises ferroviaires. Elles ne font pas concrètement rouler leurs tortillards. Elles se contentent de gérer la maintenance, le marketing, les services à bord, etc.
C’est une option que nous avons nous-mêmes envisagée et que nous envisageons encore aujourd’hui. Avant l’arrivée de Nicolas, nous avons même exploré un peu les possibilités qui s’offraient à nous, et qui n’étaient pas très séduisantes. En fait, le marché n’est pas vraiment organisé pour offrir ce genre de prestations. Lorsque nous avons demandé un devis, on a commencé par nous facturer le devis. Pour tracter les trains d’une société tiers comme Midnight Trains, il leur fallait en effet monter des équipes dédiées, mobiliser du matériel roulant dédié, etc. Bref, au final, ce que nous pensions gagner à sous-traiter, nous finissions par le perdre.
Romain Payet — Bien évidemment, quand on manque de compétences techniques, la sous-traitance est le premier des réflexes. Mais avec Nicolas à bord, les choses nous sont apparues un peu différemment. Car si devenir une entreprise ferroviaire n’a rien de simple, c’est beaucoup plus faisable quand on a quelqu’un comme lui dans son équipe.
Pour obtenir ce statut, il faut d’abord se voir accorder une licence d’entreprise ferroviaire. En France, elle est délivrée par le ministère des Transports, à condition de répondre aux prérequis suivants : un capital social d’au moins 1,5 million d’euros, une assurance couvrant le transport de passagers à hauteur de 40 millions d’euros par an, et, enfin, que les dirigeants soient reconnus comme capables de gérer une telle entreprise. Sans oublier le fait que ces derniers ne doivent pas faire l’objet de poursuites judiciaires. Ensuite, une fois la licence en poche, il faut obtenir un certificat de sécurité délivré par l’ERA (The European Union Agency for Railways) et l’EPSF (l’Autorité française de sécurité ferroviaire). Dans les grandes lignes, il faut produire un corpus documentaire détaillant tous les protocoles de sécurité, la façon dont ils vont être gérés et maintenus dans le temps. Ces deux agences se plongent dedans, elles explorent ce qui est prévu pour faire rouler les trains en toute sécurité et vérifient que tout cela sera pérenne. Si elles estiment que cela fonctionnera et que la vie des gens ne sera pas en danger, elles te remettent le certificat en question. Des démarches qui nous semblaient faisables mais franchement complexes avant que Nicolas nous dise en substance : “Ce n’est pas si compliqué que ça et surtout, je sais le faire”.