Bien que l’expérience du voyage à la Tour Eiffel soit géométriquement orthogonal à celle du train, l’ascension du monument iconique nous plonge, sans qu’on ne sache trop pourquoi, dans les sensations, les émotions et l’ambiance du monde ferroviaire. Ce sentiment diffus, produit par la multitude de micro-émotions que seule la Tour procure à tous ses étages, est en réalité absolument légitime, tant l’Histoire de la Tour et le train sont intimement liés.
Si c’est avec la Tour de l’Exposition Universelle de 1889 que Gustave Eiffel entrera dans l’Histoire, sa renommée d’ingénieur et le génie de son savoir-faire sur les ouvrages métalliques s’est d’abord construite autour de ponts ferroviaires : Pont Maria Pia sur le Douro à Porto, Pont de Garabit, Pont de Bordeaux, Pont De Cubzac et plus de 100 autres ponts en France et à l’étranger… C’est même cette expérience, et l’exigence à l’égard de la prise au vent de ces ouvrages monumentaux surplombant des fleuves et des vallées, qui guideront ses réflexions sur la forme de la Tour, justement choisie pour sa résistance au vent. C’est aussi l’univers ferroviaire, qu’Eiffel maîtrise à la perfection, que l’on retrouve sur la Tour, avec ce fer puddlé, les rivets ou les cornières si caractéristiques de la Tour.
Il faut mesurer l’exploit que représente en 1889 l’érection d’une Tour de 300m de haut en plein Paris en à peine 2 ans, 2 mois et quelques jours. Cette Tour c’est l’expression d’une ambition et d’une époque : celle des ingénieurs et des savants, des Expositions Universelles, de la conquête scientifique, du sentiment d’accélération du temps et du progrès et bien sûr celle de l’essor du train. C’est leur capacité commune à incarner le futur et le génie français qui feront du train et de la Tour Eiffel des voisins de prestige durant toute la durée de l’Exposition Universelle. Une voie de chemin de fer temporaire de 3 kilomètres spécialement construite pour desservir les différents sites de l’exposition universelle y acheminera même 6 millions de visiteurs venus s’émerveiller de l’exploit technique et esthétique de Monsieur Eiffel. Avec une gare de cette ligne exceptionnelle au pied de la Tour, évidemment.
La riche histoire de Gustave Eiffel avec le train, que l’on retrouve dans le dessin de la Tour et l’ambition scientifique et technique commune de cette fin du XIXe siècle, crée un patrimoine et un langage commun évident entre la Tour et le monde ferroviaire, mais finalement c’est au quotidien, encore en 2022, que les réalités sont si proches.
Permettre à plus de 6 millions de personnes chaque année d’accéder au sommet de la Tour, comme on accède à sa destination de voyage, avec la même impatience et la même excitation, demande la même rythmique et la même précision que celle d’une gare. C’est chaque jour neuf ascenseurs à coordonner, cadencer et entretenir mais aussi à charger et décharger de ces éphémères voyageurs verticaux. Ces ascenseurs, qui parcourent ensemble 103 000 kilomètres par an, sont tout comme le train qui nous conduit en vacances : aussi bien un véhicule pour atteindre son but qu’une expérience à part entière, nous offrant sur le monde une fenêtre singulière et poétique.