Cette fois c’est bon, l’été est enfin arrivé sur toute l’Europe. Une douce langueur s’est répandue sur nos vies, les rires résonnent sur les terrasses et les shorts remplacent désormais les pantalons. Pourtant, dans l’univers fictionnel du Transperceneige, la période estivale n’est plus qu’un lointain souvenir. Suite à une catastrophe climatique, une nouvelle ère glaciaire a rendu l’ensemble de la planète inhabitable. Seule une poignée de survivants ont eu le temps de monter à bord d’un train qui ne s’arrête jamais de rouler. Bien loin du Crime de L’Orient-Express, de La Bête humaine ou de La Prose du transsibérien, cette idée simple reprend les codes traditionnels de la science-fiction pour les placer dans le contexte extrêmement particulier d’un train auto-suffisant.
La première version du Transperceneige est une bande-dessinée française sortie à partir de 1982 dans les pages d’A suivre, un magazine consacré au 9e art. Regroupées en un seul album, ces pages scénarisées par Jacques Lob et dessinées par Jean-Marc Rochette sont suivies de deux autres BD scénarisées par Benjamin Legrand après la mort de l’auteur initial. Si l’œuvre bénéficie dès sa sortie d’un certain succès d’estime, la consécration populaire n’arrive qu’avec l’adaptation cinématographique du réalisateur coréen Bong Joon-ho en 2013. Quatre saisons d’une série viennent ensuite s’ajouter à l’univers à partir de 2020.
Si les trois versions du Transperceneige utilisent l’univers de Jacques Lob, chacune d’elle propose d’importantes variations scénaristiques. Le véritable point commun, qui est aussi le principal facteur de succès, tient à l’organisation du train. En queue de celui-ci, les wagons sont remplis des hommes, des femmes et des enfants les plus pauvres, parfois montés illégalement à bord du train au moment de son ultime départ. Plus on avance vers la tête du tortillard, plus le niveau de confort augmente et plus les passagers sont privilégiés. Tout au bout, dans la locomotive, se trouve le créateur et maître du Transperceneige. Entre les deux, on trouve un potager, des chambres froides, une infirmerie, des lieux de débauche et pas mal de secrets.
Sauf qu’à l’arrière du train, là où les gens crèvent de faim, baignent dans la saleté et se brisent le dos pour faire perdurer le fragile équilibre du Transperceneige, les passagers ont la rage. En sous-main, ils préparent une révolution pour remonter jusqu’au premier wagon, chasser les ultra riches qui vivent en parasites et reprendre le contrôle de leur destin. Seul problème, sur le chemin, il y a des dizaines de portes verrouillées et des centaines d’hommes armés. Sans parler de l’inertie sociale qui maintient les choses comme elles sont.
Cela ne vous aura pas échappé, l’organisation du Transperceneige est donc une grande allégorie de notre monde. A la différence que l’origine sociale prend ici la forme d’un billet de train en première classe, en seconde classe, dans le wagon à bagages ou autre. Celle-ci soutient aussi l’idée que s’il n’est jamais totalement impossible de briser les murs qui séparent ces classes sociales, tous n’ont pas la chance d’y parvenir et que lorsqu’ils réussissent, c’est bien souvent dans le sang et dans la violence. Mais surtout, elle nous rappelle que ceux qui prennent le pouvoir pour des raisons légitimes finissent souvent par le garder pour de très mauvais motifs. Allez, on s’arrête là sur la partie scénaristique au risque de vous spoiler.
Deux autres grands thèmes liés l’un à l’autre sont également à l’origine du succès du Transperceneige. Le premier est évidemment l’écologie puisque la glaciation du monde où roule le train est due à une catastrophe climatique. Dans la version de Bong Joon-ho, c’est même le bombardement d’un produit refroidissant pour combattre le réchauffement qui a transformé la Terre en une gigantesque boule de glace. Une critique à peine voilée d’une société qui préfère s’attaquer aux symptômes du mal qu’à ses racines, parfois pour le pire.
Enfin, les différentes versions du Transperceneige mettent l’accent sur le survivalisme et l’auto-suffisance. Deux thèmes qui sont désormais au cœur de nos vies, surtout depuis la crise sanitaire qui nous a tous enfermés chez nous, alors qu’ils semblaient encore marginaux il y a quelques années. Dans un gigantesque train métallique où il n’y a plus la moindre ressource alimentaire extérieure ni la moindre possibilité de se fournir en nouveau matériel, la plus petite miche de pain devient un trésor inestimable. Le plus petit gaspillage est une balle qu’on se tire dans le pied. Des constats qui, à nouveau, font brutalement écho à notre époque où existent encore des étés. Alors, pour éviter de devoir un jour monter dans un transperceneige, continuons à monter dans des trains plutôt que dans des avions.