Nous l’avons vu la semaine dernière, aucune des voitures volantes développées au cours du XXe siècle n’a pu atteindre le stade de la production et de la commercialisation à grande échelle. A la fois mauvaises voitures et mauvais avions, elles auraient nécessité d’inimaginables infrastructures, coûtaient beaucoup trop cher à produire et ne correspondaient à aucune demande réelle. Après avoir fait fantasmer des générations d’inventeurs, de journalistes et d'aventuriers épris de liberté absolue, elles ont donc été mises au placard de l’histoire des mobilités. Seuls quelques prototypes, parfois viables, surgissent occasionnellement des laboratoires de R&D de constructeurs ou de startups. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il suffit de lever le nez pour constater que le ciel est vide de la moindre voiture volante. Cependant, ce qu’on y voit parfois depuis quelques années, ce sont de petits appareils sans pilote qui viennent rebattre un peu les cartes.
Ces appareils, nous les connaissons tous, ce sont les drones, ces étranges machines qui jaillissent le plus souvent de paquets cadeaux pour aller survoler le jardin. “Ils se divisent en deux catégories principales, les multicoptères — généralement équipés d’au moins quatre couples moteur/hélice, très maniables mais ayant peu d’autonomie — et les ailes volantes, qui ressemblent à des avions pouvant voler sur de plus grandes distances grâce à l’économie d’énergie permise notamment par leur faible masse et leur grande surface alaire autorisant parfois un mode planeur”, nous explique Philippe Boyadjis, président de la Fédération Professionnelle du Drone Civil (FPDC). Surtout célèbres dans leur version loisir avec laquelle de nombreux papa-techos ont réalisé des films de vacances à la qualité contestable, les drones se sont aussi taillé une place de choix dans l’industrie. Essentiellement utilisés dans le BTP et les métiers de l’image, ces petits appareils téléguidés sont également employés dans d’autres secteurs comme l’agriculture, la sécurité, la défense ou la surveillance des réseaux ferrés. Quant au transport de personnes, c’est encore un peu différent.
“C’est un sujet d’actualité dans le monde des drones mais une actualité quelque peu lointaine. Car entre faire voler un drone de quelques kilos sans personne à bord, et un drone habité, il existe un important fossé technologique et réglementaire”, poursuit Philippe Boyadjis. Et d’ajouter : “ Les deux sont d’ailleurs liés puisque la réglementation sur le sujet, qui est européenne depuis 2021, classe les activités des drones en fonction de leur dangerosité. La catégorie ouverte contient les activités à faible risque, dont le loisir, la catégorie spécifique regroupe essentiellement les usages professionnels à risques modérés, et la catégorie certifiée, dont les exigences sont extrêmement élevées, prévoit notamment le transport de personnes ou de marchandises dangereuses.”
Si le transport de personnes par drone est donc bien prévu par l’Union européenne, on est encore loin de voir des drones-voitures volantes slalomer entre les immeubles haussmanniens de Paris ou les tours de la City londonienne. “Les contraintes de construction de tels aéronefs utilisables en catégorie certifiée seront très proches de celles de l’aviation habitée classique, ce qui va demander des investissements beaucoup plus importants et nécessiter plusieurs années d’homologation”, analyse le président de la Fédération Professionnelle du Drone Civil. “Dans un premier temps, les flux de personnes devraient être peu élevés et s’adresser à des personnes privilégiées ou à des cas d’usage liés à des interventions médicales ou de sécurité ou sûreté publique ”, poursuit Philippe Boyadjis. Un constat qui renvoie cruellement à celui fait par les créateurs des premières voitures volantes.
A ce stade, le seul véritable scénario crédible est celui dans lequel le drone ne serait pas une voiture personnelle mais un taxi ou une navette volante. Se déplaçant de hub en hub selon des routes aériennes prédéterminées, il pourrait avoir un pilote embarqué, être piloté à distance ou être entièrement contrôlé électroniquement. “Que ce soit pour des taxis ou des véhicules personnels, cette circulation en basse couche se réalisera en mode UTM (Unmanned aircraft system Traffic Management) donc totalement numérisée. Le matériel au sol captera les émissions permanentes des drones dont les routes et les conditions de vol seront contrôlées en temps réel”, souligne Philippe Boyadjis. Il rappelle d’ailleurs qu’une telle expérimentation devrait être réalisée par les VoloCity de l’entreprise Volocopter durant les Jeux Olympiques de Paris 2024, grâce à des dérogations particulières.
Au-delà de la question technologique, cela pourrait permettre de tester l’acceptabilité d’une telle mobilité. Les habitants des villes ont-ils vraiment envie de voir passer des drones sous leurs fenêtres et/ou au-dessus de leurs têtes ? Quid d’une nouvelle source de pollution sonore dans des centre-villes déjà terriblement bruyants ? Philippe Boyadjis assure que ces aspects sont encadrés par la réglementation et que les constructeurs comme les opérateurs ont tout intérêt à investir sur ces sujets et viser l’acceptation du public, au risque de limiter considérablement les usages et l’essor de ces activités innovantes. Par ailleurs, les citoyens accepteront-ils de voir voler les ultra-riches dans leur ciel ? Pour Bernard Jullien, maître de conférence en économie à l’Université de Bordeaux et spécialiste de l’industrie automobile, rien n’est moins sûr : “Si on imagine des navettes volantes autonomes, ça peut peut-être se justifier dans une politique de transports en commun mais si on parle de taxis volants aux prix très élevés comme les taxis motos qui évitent les embouteillages, ça ne sera pas une priorité pour les pouvoirs publics. Sans parler du fait que cela renvoie à une utilisation de l’espace public par des utilisateurs privés très riches, ce qui n’est pas vraiment dans l’air du temps”. Bref, si les drones sont technologiquement capables de devenir des voitures volantes, il est bien peu probable qu’ils deviennent des véhicules volants personnels à court ou moyen terme.