Cela ne vous aura pas échappé, dans Joli Futur, nous aimons les métaphores un peu douteuses. Dans ces colonnes, le train à hydrogène devient facilement une histoire d’amour ratée, la voiture électrique est comparée à des tongs portées avec des chaussettes et les carburants durables pour l’aviation (SAF) sont qualifiés de chips goût hamburger. Pourtant, aujourd’hui, rien de tout ça. Pas par manque d’inspiration, hein. C’est plutôt par dépit car — Spoiler Alert — les SAF ne sauveront pas la planète en étant déployés à échelle mondiale. Au mieux, ils sauveront l’aviation en lui achetant une conscience écologique durant les années ou les décennies à venir. Le temps pour ceux qui profitent de la manne financière que représente ce secteur de trouver un tour de passe-passe ou de déplacer leurs investissements ailleurs. On vous explique tout ça ci-dessous.
Tout d’abord, une fois encore, il faut séparer les biocarburants et les carburants de synthèse. Les premiers — qui sont conçus à partir de cultures végétales ou de déchets — sont structurellement limités en quantité. Bien évidemment, si on utilise des terres arables pour fabriquer du carburant pour avions, on ne les utilise pas pour nourrir l’humanité. Or, de l’avis de pas mal de gens, il est plus important de manger à sa faim que de déplacer les 5% de gens les plus riches d’un bout à l’autre de la planète. Et puis, tous les intrants agricoles n’ont pas la même image. “Si vous produisez un SAF à base d’huile de palme, les gens entendent déforestation, orang-outangs morts, etc., il faut donc s’appuyer sur quelque chose qui n’entre pas en conflit avec l’alimentation ou la conscience humaine, comme l’utilisation de déchets”, explique Maria Lee, experte Logistique et Transport au sein du cabinet Sia Partners. C’est d’autant plus vrai que dans certaines régions du monde, comme en Europe, on limite l’usage des terres agricoles pour la production de carburant pour d’évidentes raisons de sécurité alimentaire.
Cependant, l’usage des déchets n’a rien d’une solution viable à long terme non plus. Comme nous l’avions déjà évoqué dans notre saison sur le train au biogaz, les déchets ne sont pas une ressource durable. En effet, dans la construction d’une économie et d’un système plus responsables, vertueux et écologiques, les déchets devront être réduits à portion congrue. Impossible donc de se reposer sur un tel intrant pour alimenter un secteur de cette taille. Rappelons-le au cas où : il y a aujourd’hui près de 23.000 avions dans le ciel et il y en aura le double d’ici 20 ans.
De leur côté, les e-fuels, les SAF de synthèse donc, font également face à de nombreuses barrières. “Ils semblent plus intéressants et plus porteurs d’avenir car ils peuvent potentiellement être produits en grandes quantités sans empiéter sur les terres cultivables et ils permettent de capter du carbone produit par des secteurs qui ne peuvent pas faire autrement que de le produire. Toutefois, à ce stade, ils ne sont pas matures et les filières n’existent pas vraiment”, analyse Maria Lee, “Et puis, un autre problème se pose. Un avion, par nature, décolle quelque part et se pose quelque part. Il faut donc qu’il y ait du carburant des deux côtés de la ligne.” Or, comme le développe la chercheuse, ce ne sera pas nécessairement simple de produire de tels carburants partout dans le monde : “Certains pays comme le Brésil, qui ne sont pas en tête des pays les plus industrialisés, se sont bien positionnés sur la production des biocarburants à base de cultures végétales. Et puis on peut imaginer que si la Chine et le Mali investissent lourdement dans le recyclage de leurs déchets, ils pourront créer des filières. Par contre, quand on parle de e-fuels, on a besoin d’investir des fonds colossaux, de faire appel à des ingénieurs de très haut niveau et de s’appuyer sur des filières énergétiques durables très développées. Ce sont des éléments qui ne sont pas faciles à réunir partout”, poursuit la chercheuse.
Enfin, il y a la question des moteurs. Ceux dont sont actuellement équipés les avions peuvent-ils de fonctionner uniquement avec des SAF ? Et pas avec un tout petit pourcentage de ces carburants comme c’est le cas aujourd’hui ? D’après Charlotte de Lorgeril, Energy Partner chez Sia Partners, ce n’est pas impossible : “Les SAF sont conçus pour être compatibles avec les moteurs d'avion existants, ce qui signifie qu'ils peuvent être utilisés sans nécessiter de modifications majeures de la flotte aérienne.” Et d’ajouter : “Ils contribuent à la réduction de la dépendance de l'aviation vis-à-vis des carburants à base de pétrole brut, ce qui peut améliorer la sécurité énergétique.” Bonne nouvelle donc. Sauf que, comme l’avez peut-être deviné au cours de cette analyse, il n’y a tout simplement pas assez de SAF. Et l’expression est très faible. “Actuellement produits à une échelle limitée, leur disponibilité sur le marché reste encore restreinte. Avec 300 millions de litres produits en 2022, soit 0,15% de la consommation totale de kérosène, les SAF restent un marché de niche.” Pire encore, ils sont très chers : “Des normes et des réglementations sont nécessaires pour garantir la qualité et la sécurité des SAF. Conséquence directe, le prix des SAF pour le secteur aérien demeure deux à trois fois supérieur au prix du kérosène classique (entre 1 et 1,5$ par litre avec la technologie HEFA vs 0,5$ par litre avec un baril de pétrole supérieur à 80$). Pour rappel, le carburant représente environ 30% des coûts d'exploitation d'une compagnie aérienne.” Or, pour un secteur comme l’aviation, ce prix prohibitif est impardonnable. Aucune raison donc qu’il adopte ces carburants sans contrainte règlementaire. Mais comment obliger quelqu’un à utiliser quelque chose qui n’existe pas…