Adrien Aumont — Tous les amateurs de romans ou de films à suspense le savent, il n’y a pas de bonne histoire sans un petit flashback ou deux. Un passage en noir et blanc, un peu vaporeux, qui raconte ce qui a rendu le méchant aussi méchant ou le gentil aussi inflexible dans sa quête de justice. Dans notre cas, c’est un peu moins manichéen mais ça raconte tout de même les origines de ce qui rend toute cette aventure si difficile. C'est-à-dire l’absence absolue de soutien des institutions françaises et européennes dans nos tentatives d’accès à du matériel roulant.
Petit retour en arrière, donc. Nous sommes en avril 2020, nous n’avons pas encore communiqué publiquement sur Midnight Trains et nous nous faisons connaître du cabinet du ministère des Transports. À l’époque, c’est Jean-Baptiste Djebbari, connu pour sa communication très axée sur le train, qui est aux commandes. D’ailleurs, très vite, nous sommes chaleureusement reçus par l’un de ses conseillers. Sympathique, très calé sur son sujet, il écoute notre présentation. Il observe notre carte de déploiement étalée sur le bureau et se réjouit : nos lignes de trains de nuit ne sont pas concurrentes de celles que le ministre prévoit de lancer. Mieux encore, elles sont complémentaires ! Il n’y a que ce train de la France vers Barcelone qui pourrait être un problème mais il balaie le sujet d’un revers de main. Si nous nous en occupons, ils le retireront de leur projet. Il nous demande ensuite s’il peut nous aider sur quelque chose. Nous évoquons toutes les barrières à l’entrée auxquelles nous faisons face, à commencer par notre besoin de garanties solides pour acheter des trains. Il nous affirme que ses équipes vont chercher des solutions. Enfin, et surtout, il propose que le ministre poste un tweet lorsque nous annoncerons le lancement du projet. Ce n’est pas ce dont nous avons le plus besoin mais c’est un bon début. En plus de la visibilité, cela sous-entend que le ministre des Transports et ses équipes sont à nos côtés.
Ce sentiment ne dure toutefois pas bien longtemps. Moins de trois jours. Et pour cause, alors que ce rendez-vous a eu lieu un jeudi après-midi, Jean-Baptiste Djebbari tweete le dimanche suivant. Il balance la carte d’un réseau de trains de nuit reprenant la sienne et la nôtre. Sans nous mentionner. Comme si ces lignes avaient été pensées par le gouvernement français et qu’il comptait les déployer sous son propre étendard. Petit coup de couteau dans le contrat de confiance. Pourtant, nouvel ascenseur émotionnel trois mois plus tard. En juin 2021, le ministre tient en effet sa promesse. Il tweete sur notre sortie du bois. Et grand bien lui en a pris puisque le message génère plus de 4000 likes, plus de 1100 retweets (citations comprises) et 528 commentaires. Je ne pourrais pas l’affirmer, mais il compte probablement parmi ses meilleures performances sur les réseaux sociaux. Puis, silence radio ou presque jusqu’à l’élection présidentielle de 2022 et la réélection d’Emmanuel Macron. Et quand il nomme Clément Beaune au ministère des Transports, c’est balle neuve. Nous repartons de zéro. Le ferroviaire n’est pas à l’abri des méandres de la politique. Même lorsque celle-ci ne fait que se renouveler.
Nicolas Bargelès — Notre interaction suivante avec le gouvernement français se déroule en juin 2022. Lorsque nous répondons à un appel à manifestation d’intérêt (AMI) sur des trains de nuit internationaux en Europe lancé du temps de Jean-Baptiste Djebbari. Pour faire simple, et pour citer ceux qui savent, il s’agit d’une “procédure ad hoc non prévue par le code de la commande publique, permettant à une personne publique de solliciter l'initiative privée pour favoriser l'émergence de projets dans lesquels elle trouve un intérêt, sans pour autant que le besoin soit parfaitement exprimé”. Bref, c’est l’étape avant l’appel d’offre grâce à laquelle le gouvernement sonde un peu les acteurs prêts à passer à l’action sur le sujet.
Bien évidemment, nous cochons tellement toutes les cases que nous recevons rapidement une réponse. Les équipes de la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) nous posent beaucoup de questions pour compléter notre dossier. Comme les tonnes de carbone que Midnight Trains permettrait d’économiser. Des informations que nous ne pouvons fournir qu’en faisant appel à des cabinets de consulting tant elles sont précises et complexes. Mais surtout, des questions auxquelles nos interlocuteurs devraient déjà avoir les réponses.
Sommes-nous en train de divulguer des informations qui serviront à la SNCF plutôt qu’à nous ? Nous ne pouvons en être certains mais la question nous traverse l’esprit. Surtout que le calendrier commence à se distendre après l’été 2022. Les réponses se font plus lentes, plus portées sur de microscopiques détails. Pour que tout rentre dans des cases, nous remplaçons nos demandes de garanties par des demandes d’aide à l’amorçage. Ce genre de choses. On nous fait comprendre que nous sommes sur la bonne voie, que ça va arriver à un moment ou à un autre.
Adrien Aumont — Puis, en décembre 2022, les couperets commencent à tomber sous la forme de phrases caractéristiques de la lâcheté de ce genre d’institution. Vous voulez un exemple ? En voilà un qui représente tout l’art de dire non sans dire non mais sans dire oui : “Il n’y a pas de calendrier ferme pour l’AMI”. Puis, après une ultime relance de notre part en février 2023, nos interlocuteurs affirment qu’ils cherchent une solution pour nous aider avec la Banque Publique d’Investissement (BPI). Avant de laisser mourir ça dans un silence presque total, un échange tous les six mois environ. Mais c’est bien mal nous connaître.