Adrien Aumont — Midnight Trains ne deviendra pas belge. Malgré l’intérêt du ministre des Transports du plat pays pour le projet, malgré sa volonté de nous mettre en relation avec des banques bruxelloises, il n’y a pas plus de garanties à trouver là-bas qu’ici, en France. Mais puisque Clément Beaune et ses équipes continuent de nous snober, nous explorons d’autres directions. Nous creusons toutes les pistes, nous frappons à toutes les portes et nous rencontrons toutes celles et tous ceux qui font le ferroviaire hexagonal et européen dans l’espoir de trouver des solutions qui nous auraient échappées jusque-là.
Cette longue entreprise, à mi-chemin entre le porte-à-porte et la quête de roman d’aventures, nous conduit à déjeuner avec deux grands patrons de la SNCF en juillet 2023. Pour évoquer un éventuel accord de reprise de matériel en cas de faillite, l’une des façons de garantir l’achat de nos trains. Mais ces deux hauts dirigeants nous arrêtent tout de suite : la grande majorité du matériel roulant appartient à la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM). Ils ne peuvent donc rien pour nous sur ce sujet. Ils nous conseillent cependant de rencontrer Clément Beaune pour essayer d’avancer sur cette question. Nous ne pouvons pas résister à leur raconter ce que nous avons raconté la semaine dernière. Que nous avons tout tenté pour le voir, que nous avons activé toutes les connexions à notre portée sans le moindre résultat. L’un d’eux nous dit de ne pas nous inquiéter. Il s’en occupe.
Quelques jours plus tard, bingo. Nous recevons un mail disant que le ministre des Transports Clément Beaune nous recevra le 29 août 2023 à 18 heures 30. Pas de choix dans la date ni dans l’horaire mais un rendez-vous en bonne et due forme. Une preuve s’il en fallait une de qui sont les véritables patrons du ferroviaire français. Et, spoiler alert, ils ne travaillent pas dans un ministère quel qu’il soit.
Romain Payet — Nous débarquons donc dans le bureau du ministre à la fin de l’été. Sauf que cette fois, nous ne faisons pas une liste à la Prévert de tous les obstacles rencontrés. Nous ne livrons pas de carte à réutiliser dans un tweet qui ne nous mentionne pas. Nous nous focalisons sur notre besoin impérieux et unique de garanties sur notre matériel roulant : les quelques gouttes d’eau nécessaires à la fermentation de la graine Midnight Trains. De son côté, le ministre nous affirme qu’il croit au train de nuit, à notre modèle ainsi qu’à la complémentarité de notre offre avec celle de la SNCF. Mais que, pour les garanties, il ne peut pas nous aider directement. Qu’il faut secouer tous les cocotiers et, surtout, être créatif. Ce qui, dans le contexte, veut dire reprendre notre bâton de pèlerin pour arpenter les couloirs d’autres ministères : celui de l'Économie dirigé par Bruno Le Maire et celui de l’Industrie de Roland Lescure.
Et c'est ce que nous faisons. Nous avons rendez-vous au cours des semaines suivantes dans les deux ministères. Mais cela s’avère être un piège, au mieux un mirage. Et pour cause, lorsque le conseiller de Roland Lescure, que nous voyons en premier, comprend que nous allons ensuite chez ses confrères, il se débarrasse de nous. En nous disant à peu de choses près que ce n’est pas vraiment son problème. Qu’il faut aller voir chez les gars d’en face. Nous filons donc à notre second rendez-vous du jour, avec un membre du cabinet de Bruno Le Maire. Mais il nous renvoie à son tour vers quelqu’un d’autre : le ministère des Transports, qui nous a envoyé à lui… En nous expliquant que celui-ci a les moyens financiers de nous aider pour nos garanties. Retour à la case départ.
Nicolas Bargelès — Enfin, dernière piste pour trouver des garanties sur l’achat de notre matériel roulant : la Commission européenne et, en quelque sorte, un retour à Bruxelles. Le quatrième paquet ferroviaire a beau avoir parachevé le cadre légal communautaire de l’ouverture du marché européen du rail, les équipes ont remarqué que la réalité est un peu différente de la théorie. Rares sont en effet les créations de nouvelles lignes internationales à travers le Vieux Continent. La Commission européenne identifie donc en janvier 2023 une dizaine de projets de trains transfrontaliers afin d’analyser leurs difficultés et, éventuellement, de contribuer à les faire émerger : support institutionnel d’un côté, retour d’expérience de l’autre. Cette sélection compte un peu de tout : Flix sur des trajets Leipzig-Berlin-Stockholm et Munich-Zurich, WESTbahn entre Munich et Budapest, Trenitalia et la Deutsche Bahn qui veulent coopérer pour lancer des trains Milan-Munich et Rome-Munich, nos collègues d’European Sleeper entre Amsterdam et Barcelone, et nous, avec notre ligne Paris-Milan-Venise.
Ce programme-pilote ne dispose pas du moindre euro pour aider les nouveaux entrants que nous sommes mais il a le bon goût de nous ouvrir quelques portes à Bruxelles. À commencer par celles de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). Seul problème, lorsque nous sommes reçus par celle-ci, on nous dit que la lettre la plus importante de BEI est le B. Qu’il s’agit donc avant tout d’une banque et qu’il ne faut pas compter sur elle pour nous offrir des facilités d’accès. C’est vrai, ce serait dommage qu’une institution européenne puisse aider des entreprises européennes à entrer sur un marché européen ouvert à tous par des lois européennes. Imaginez le paradoxe que ce serait… Et puis, on nous précise que la BEI n’est pas à la botte de la Commission européenne, que ses équipes ne sont pas au garde-à-vous lorsque celle-ci leur envoie des gens. De toute façon, ils n’ont pas de solution à nous fournir. Ils reconnaissent néanmoins qu’il y a un problème avec les garanties sur le matériel roulant des nouveaux entrants. D’ailleurs, c’est pareil pour les opérateurs historiques. Même si, comme nous l'avons dit la semaine dernière, ceux-ci bénéficient de garanties implicites ou explicites de leurs États d’origine. Quant aux banquiers de la BEI, ils sont comme des poules devant un couteau. Ou des vaches dans leur champ qui attendent un train qui ne passera jamais faute de garanties.
C’est à la fois rassurant et exaspérant. Rassurant car nous ne sommes pas les seuls dans cette situation. Car nous réalisons que nous ne sommes pas les seuls dépositaires de ce problème, les seuls à pâtir d’un marché du leasing ferroviaire open access encore balbutiant. Exaspérant car ça n’a rien d’un scoop. Parce que tout le monde le sait et que personne ne fait rien pour faire changer les choses. Or, pour réussir, nous avons besoin d’entraîner des partenaires dans notre sillage. Mais là, ça coince vraiment. Pour la construction d’une Europe des transports décarbonée et la création d’une offre ferroviaire sur des trajets de 1500 kilomètres pour tenter de rivaliser avec l’aérien… Eh bien, on repassera.