Romain Payet — Nous n’avons jamais eu l’air aussi forts. Aussi peu start-up. Nous avons des lettres d’intérêt de gros distributeurs de billets de train et une autre, à venir, d’un énorme opérateur ferroviaire sur la traction. Mieux encore, nous avons des simulations et des projections très positives sur la future vente de nos produits. Notre dossier n’a jamais été aussi épais et il ne nous reste donc qu’à l’envoyer à qui de droit. À des ROSCO bien sûr, des Rolling Stock Companies qui achètent des trains pour les louer à d’autres entreprises. Mais aussi à des fonds d’infrastructures et des fonds d’investissements qui se sont déjà penchés, de près ou de loin, sur des dossiers liés au ferroviaire. Nous n’avons plus de temps à perdre. Plus du tout. Il est hors de question de devoir réexpliquer le projet et ses enjeux à des gens qui n’y connaissent rien et ne s’y intéressent que par curiosité. Ce n’est pas du mépris ou de la prétention. Mais le temps de la pédagogie est désormais derrière nous.
Malheureusement, cet envoi ne donne pas grand-chose. Les fonds qui ont déjà les pieds dans le secteur ne répondent pas. Et lorsqu’ils le font, c’est pour refuser sans prendre le temps de regarder le dossier en profondeur. Du côté des ROSCO, les choses se passent un petit peu mieux et nous décrochons des rendez-vous avec trois d’entre elles : deux allemandes et une française, celle dont nous avions décliné l’offre à cause du niveau de garantie qu’elle exigeait. Les échanges avec les deux premières se passent bien mais le processus bloque rapidement en interne. Il ne nous reste donc plus qu’une seule piste. Une piste que nous avons déjà écartée par le passé mais une piste qui repose sur une longue relation. Et pour cause, petit rappel : nous avons rencontré certains dirigeants de cette ROSCO hexagonale au tout début de notre aventure. Ils nous ont donné des conseils et nous ont suivis avec bienveillance. Nous avons fini par leur préférer leurs concurrents mais nos relations sont toujours très bonnes.
Adrien Aumont — Cela nous conduit à rencontrer le CEO et la personne chargée des trains de passagers en décembre 2023. Romain l’a dit, cette entreprise et nous nous connaissons déjà. Le rendez-vous n’en est que plus franc. Il n’y a pas de faux-semblant, ni de parade nuptiale. Ils savent tout ou presque de notre situation et, par extension, de nos besoins. De notre côté, nous n’ignorons pas que le niveau de garantie qu’ils demandent est très élevé — leurs propres actionnaires ne les laisseraient pas faire autrement. Ils abordent d’ailleurs le sujet sans détour : ils sont toujours très intéressés par Midnight Trains mais il n’y a aucune raison que leur proposition soit différente de la dernière fois. À une exception près. Ils se proposent cette fois de nous aider à trouver ces garanties auprès des institutions. Ils s’engagent à ne pas nous laisser faire cela seuls. Ils pèseront de tout leur poids pour ouvrir les portes qui doivent l’être. Cela nous convient et nous convenons d’avancer dans ce grand cadre général. À ce stade, nous ne pouvons pas espérer mieux. Nous sommes entrés dans une phase où nous devons absolument trouver une solution pour nos actifs. Sans quoi Midnight Trains ne verra jamais concrètement le jour.
Nicolas Bargelès — Autre sujet de complication potentielle, cette ROSCO préfèrerait être seule dans l’acquisition de nos actifs. D’une part, elle préfère que cette opération figure au milieu de ses autres lignes comptables plutôt que dans un véhicule d’investissement à part entière, séparé et séparable des autres projets qu’elle couvre. D’autre part, la durée de vie de tels matériels roulants est d’environ 30 ans. Faire appel à des investisseurs suiveurs pour un tel achat implique donc de se lier à eux pour trois décennies et de bloquer potentiellement l’utilisation de certains actifs. Ce qui n’a rien de plaisant aux yeux d’une entreprise comme celle-là. Ni aux nôtres puisque nous ne voulons pas être liés sur une si longue période. Ne serait-ce que pour pouvoir renouveler notre flotte avant cette échéance ou renégocier notre contrat en cours de route. Seul problème, si cette ROSCO investit seule, nous devrons refuser l’investissement du fonds public français qui veut prendre une part des actifs. Ce qui pourrait nous faire perdre celui du fonds d’investissement axé sur la durabilité des projets. Bref, cela menace l’ensemble de l’équilibre de notre levée de fonds, y compris sur l’OpCo. Mais une fois encore, il nous faut avancer coûte que coûte. Nous ne sommes pas sûrs que la venue de cette ROSCO suffise à nous maintenir en vie. Mais sans elle, nous sommes certains d’aller dans le mur. Il sera toujours temps de trouver un nouvel équilibre plus tard. C’est en tout cas ce que nous avons à l’esprit en nous présentant devant notre comité stratégique en décembre 2023, juste avant les vacances de Noël.
Romain Payet — Vous l’aurez deviné, l’ambiance de ce nouveau comité stratégique n’est pas la même que lors du précédent. Nous avons beaucoup de lettres d’intérêt mais nous n’avons plus qu’une seule piste pour l’achat de nos actifs. Nos investisseurs historiques le savent aussi bien que nous : tout peut désormais s’effondrer en un instant. Le destin de Midnight Trains se joue maintenant.