Bon, on ne va pas y aller par quatre chemins, ni même par quatre voies ferrées. Oui, le train de nuit a connu son heure de gloire. Oui, il est incroyablement plus écologique et durable que les autres transports, particulièrement les avions, les bus ou les voitures personnelles. Et encore oui, de plus en plus de gens misent sur le train de nuit. Les politiques enchaînent annonces, promesses et déclarations d’amour un peu creuses. Les journalistes et les influenceurs se réapproprient la poésie et le charme du train de nuit pour en faire la promotion. Lorsqu’ils entendent ces promesses ou qu’ils lisent ces articles, nombre de gens se souviennent combien ils aimaient ce moyen de transport. Ils évoquent les vacances en famille, vers la mer ou la montagne. Les permissions durant le service militaire. Ou encore le retour au pays des Bretons émigrés en Provence ou des Toulousains installés en Alsace via les grandes transversales. Mais alors, puisque tout le monde est d’accord, pourquoi le train de nuit n’est-il pas déjà de retour partout sur les rails hexagonaux et européens ? Peut-on vraiment le faire ?
Pour Nicolas Bargelès, directeur des opérations ferroviaires de Midnight Trains que vous connaissez bien, la réponse est très claire : “La France l’a fait par le passé, elle avait un réseau de trains de nuit assez étendu avant le déclin de cette activité à partir des années 1995-2000. Au plan des infrastructures, le pays a donc tout ce qu’il faut. Ce sont des facteurs extérieurs qui ont condamné le train de nuit, pas sa capacité à exister techniquement.” Voilà pour le réseau. Mais quid de la disponibilité des sillons-horaires puisque, comme nous l’avons vu dans la saison 9 de Confidences, les travaux sont réalisés la nuit, ce qui complique la circulation des tortillards nocturnes. “Il est clair que nous n’avons pas le maillage d’un réseau comme l’Allemagne mais le rail français reste dense et il existe des itinéraires alternatifs sur de nombreux axes ferroviaires. Avec un peu de bonne volonté, de créativité et d’ambition, il est donc tout à fait possible de rendre les travaux plus poreux au passage de trains de nuit, en évitant de bloquer les deux voies à la fois sur une ligne donnée. Le gestionnaire d’infrastructure privilégie souvent les fermetures totales pour optimiser ses propres coûts, mais c’est tout à fait réalisable au plan opérationnel”, explique encore Nicolas Bargelès.
Toutefois, bien évidemment, si on voulait remplacer les avions domestiques (qui volent d’une ville française de métropole à une autre), il faudrait aussi du matériel roulant. Beaucoup de matériel roulant. “Depuis l’avènement de la Grande Vitesse, la SNCF n’avait plus beaucoup d’ambition pour son matériel roulant de nuit. Et le peu qui lui reste, elle l’a gardé parce que l’Etat le lui a enjoint, avec des annonces soudaines de relance des trains de nuit et lui a demandé une rapide et modeste cure de jouvence. Mais dans les faits, c’est du matériel vieux de quarante ans dans lequel on a changé les tissus, mis des prises électriques et du WIFI. Il a peut-être gagné dix ans de vie mais difficilement plus”, rappelle Nicolas Bargelès avant de se livrer à un petit calcul. Rien que pour les quatre lignes existantes, avec deux trains par jour, il faudrait au moins une centaine de nouvelles voitures. Soit au moins 25 par ligne. Si on multiplie par trente pour atteindre le réseau promis à horizon 2030 par le gouvernement français, on arrive à 750 voitures. Une analyse que partage Patricia Pérennes, économiste des transports au sein du cabinet Trans-Missions. Pour celle-ci, pour construire un vrai réseau français nocturne, il faudrait même pousser au-delà du millier de voitures de passagers, peut-être même deux mille.
Mais une question se pose alors : qui conduirait ces trains ? “A n’en pas douter, l’établissement d’un tel réseau demanderait des dizaines, des centaines de recrutements. Il faudrait créer des écoles, de nouveaux métiers, etc. Cela prendrait du temps mais ça n’a rien d’impossible, à condition d’y mettre de la volonté politique et des budgets faramineux”, poursuit Patricia Pérennes. Autre solution : que l’Etat français sous-traite le sujet. “S’il accepte de relancer des lignes qui perdent de l'argent parce qu’il juge ça nécessaire, il pourrait toutefois se contenter de mettre en place une délégation de service public pour la gestion des trains de nuit et fournir la flotte à l’exploitant. Le gouvernement y réfléchit et on pourrait imaginer ça à horizon 2028-2029”, précise Nicolas Bargelès, “Les candidats ne sont pas encore connus puisqu’il n’y a pas encore d’appel d’offre mais on peut imaginer que des acteurs nouveaux entrants s’y intéressent ainsi que des filiales d’opérateurs historiques européens. Et pourquoi pas Midnight Trains. Le seul problème, c’est qu’il est peu probable que cette future flotte aille aussi loin dans la dé-densification de l’espace personnel de voyageurs alors que ce sera l’une de nos marques de fabrique.” Or, comme le rappelle Patricia Pérennes en citant une étude de 6T, seuls 25% des gens disent préférer l’avion au train de nuit. Mais savez-vous par quoi ces irréductibles pourraient se laisser convaincre ? “Par une offre haut de gamme leur garantissant davantage de sécurité (cabine privative) et confort (service de restauration, salle de douche…)”. Ça vous rappelle un truc ? C’est normal (wink wink).
Et voilà, on en arrive au nerf de la guerre. Redéployer un véritable réseau de trains de nuit demanderait de l’argent, beaucoup d’argent, et de la volonté politique, beaucoup de volonté politique. A commencer par un véritable plan de relance du train de nuit basé sur les besoins de nos contemporains. Pas une simple redite d’un système qui s’est effondré. Or, il y a deux axes pour cela. D’abord, comme nous le dit Nicolas Bargelès, que “l’aérien paye enfin ses externalités socio-économiques et les conséquences de ses nuisances plutôt que de bénéficier de carburant détaxé” et “la réforme des émissions carbone qui affectera les compagnies aériennes dès 2026, qui va dans ce sens”. Ensuite, comme nous le dit Patricia Pérennes, que l’on accepte de construire un monde où on voyage un peu moins, à une autre vitesse.