Jeudi soir, 20h, vous êtes dans votre canapé, ordinateur portable sur les genoux et vous cherchez un billet de train pour le lendemain au soir. Mauvaise surprise, le billet est hors de prix alors qu’il semblait parfaitement raisonnable deux jours avant. En vous reconnectant le lendemain matin, alors que votre heure de départ souhaitée n’a jamais été aussi proche, le billet coûte moins cher que la veille. Vous ne comprenez plus ce qu’il se passe et un gros nœud se forme dans votre cerveau. Comment expliquer ces variations de prix à la fois familières et incompréhensibles ? Par une expression toute simple bien que méconnue du grand public : le yield management.
Comme souvent dans le monde des entreprises contemporaines, il n’y a pas de traduction exacte pour définir le yield management. Appelé “gestion fine des prix” par le Conseil National de la Consommation (CNC) français, il est qualifié de “tarification en temps réel” dans le Dictionnaire de marketing : hôtellerie, tourisme, restauration publié par Jean-Jacques Cariou aux Editions BPI. Plus prosaïquement, son nom signifie littéralement gestion du rendement. Et pour cause, le yield management consiste à faire évoluer le prix d’un service ou d’une prestation en fonction du comportement des consommateurs et du temps restant avant la date de consommation du produit. Pour résumer, il s’agit d’un système d’évolution des prix permettant d’optimiser à la fois le remplissage du nombre de places disponibles pour un service donné et le chiffre d’affaires de l’entreprise.
Essentiellement utilisé dans les industries des transports, du tourisme et de l’hôtellerie, dont les prestations sont parfois qualifiées de “produits périssables'', le yield management repose sur des outils numériques de traitement de gros volumes de données, aussi appelés Big Data. Leur immense puissance de calcul leur permet d’agréger à chaque instant les comportements des consommateurs : les offres qu’ils consultent, celles qu’ils laissent de côté, celles qui les conduisent jusqu’à procéder à un paiement, les heures auxquelles ils le font, et ainsi de suite. Couplée à un certain nombre de facteurs extérieurs prévisibles comme la saisonnalité, les vacances, les évènements sociaux récurrents etc., cette analyse permet d’affiner le prix que chaque consommateur est prêt à dépenser pour un service, un billet de train ou une chambre d’hôtel, au moment exact où il se connecte.
Le yield management repose donc sur deux critères principaux : la désirabilité de la prestation et sa disponibilité, qui évolue le plus souvent en fonction du temps restant avant celle-ci. Un billet de train pour une ville de bord de mer au mois de juillet est plus désirable, donc plus cher, qu’au mois de février. Et inversement si votre tortillard fonce vers Méribel ou Chamonix en plein hiver. Évidemment, chacun de ces billets voit son prix augmenter s’il ne reste plus que quelques places disponibles. Mais ces principes ne justifient pas les baisses de tarifs parfois franchement surprenantes de certains produits vendus sous la férule du yield management.
Ceci s’explique par le fait qu’il y ait deux catégories de yield management bien différentes l’une de l’autre. La première consiste simplement en un ajustement des prix à la hausse en fonction de la raréfaction du produit, de la ligne de temps et de la désirabilité. Bref, tout ne va faire qu’augmenter et il faut donc acheter dès qu’on est sûr de soi. L’autre version, dite dynamique, s’adapte plus concrètement aux comportements de consommation. Dans le cas d’un train, il s’agit de remplir un maximum de wagons à un maximum d’horaires. Or, si les tarifs sont aussi élevés aux horaires de faible affluence qu’à ceux de haute affluence, personne n’a intérêt à les prendre. Résultat : des trains bondés aux heures de pointe et des trains vides le reste du temps. Si au contraire les prix varient, les personnes flexibles sur leurs horaires et/ou ayant des moyens plus limités privilégieront les périodes creuses.
Ainsi, si le yield management a clairement pour objectif d’augmenter la rentabilité des entreprises qui le pratiquent, il permet aussi aux consommateurs de bénéficier de prix avantageux. A condition qu’ils sachent s’y prendre, qu’ils soient capables de saisir les rouages parfois obscurs des algorithmes de détermination des tarifs et qu’ils aient du temps (ou de la chance) lorsqu’ils cherchent à réserver un billet de train, un vol, une chambre d’hôtel ou autre. Il encourage donc les clients à adopter des pratiques bien particulières, reposant sur l’organisation à long terme et la flexibilité. Mieux encore, il permet de limiter la circulation d’avion ou de trains vides. Selon l’Institut national de la consommation (INC), le yield management crée cependant une certaine volatilité des prix, un manque de clarté pour les consommateurs et une forme d’inégalité entre eux. Du point de vue de la loi, il se doit d’ailleurs de n’être ni déloyal, ni trompeur, ni agressif. Vous l’aurez compris, cette gestion fine des prix possède autant d'avantages qu’elle présente de risques. Il ne tient donc qu’aux entreprises et aux consommateurs d’en tirer le meilleur et de le rendre toujours plus performant et plus juste. Grâce à quoi il sera un allié puissant pour créer une industrie des transports plus efficiente, plus juste, plus confortable et moins carbonée.