Romain Payet — Vous le savez, jusqu’à maintenant, nous ne vous avons parlé que de partenaires, de consultants, de membres du board stratégique ou encore de conseillers bienveillants qui nous apportent leur aide par intérêt pour le projet ou par amitié. Pas d’employés. A l’exception de nous deux qui sommes les dirigeants-fondateurs et qui n’avons commencé à nous rémunérer que très tard dans cette aventure.
Il faut dire que, dès le début, nous avons décidé de prendre notre temps pour recruter. Plusieurs raisons expliquent cette stratégie. Tout d’abord, nous savons que Midnight Trains est une course de fond, pas un sprint. Nous ne sommes pas une start-up qui va exploser en six mois et dont la traction exige des recrutements par charrettes entières. C’est même tout le contraire, nous bossons sur le temps long. Les gens avec qui nous travaillons ne doivent donc pas seulement être qualifiés et avoir la passion de leur métier. Il faut aussi qu’il y ait une véritable connexion entre nous et eux. Il nous fallait donc une méthode de recrutement différente, une technique bien à nous.
Adrien Aumont — Prendre son temps pour recruter a de nombreux avantages pour une entreprise comme la nôtre. En travaillant longtemps avec des freelances, nous avons le temps d’apprendre à les connaître et ils ont le temps d’en faire autant avec nous. Cela nous permet de savoir s’il y a un match suffisamment profond pour que l’on puisse partir à la guerre ensemble, si nous sommes capables de déplacer des montagnes et de vivre dans l’adversité côte à côte. Or, ce genre de chose ne se devine pas en quelques réunions ou au cours d’un entretien d’embauche. Pas même en faisant passer dix entretiens d’embauche aux candidats. Il faut être sur le terrain ensemble, se fréquenter dans le travail, échanger, débattre et faire face à des obstacles. Car, dans le fond, ce que nous cherchons vraiment, ce sont des gens ayant une âme et un tempérament d’entrepreneurs, de faiseurs.
L’autre raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas recruter trop vite, c’est parce que les bons profils sont rares. Il ne faut pas oublier qu’on parle d’un marché national composé d’une seule entreprise : la SNCF. Bien sûr, il y a les entreprises de fret ferroviaire ou les entreprises parallèles au marché comme Eurostar mais cela reste très peu en comparaison des presque 130 000 employés de l’opérateur historique français. Les hauts profils qui y travaillent sont souvent des polytechniciens ou des énarques, ou des gens qui ont gravi tous les échelons en interne. Ce sont des gens qui partent peu vers d’autres entreprises. Ils sont attachés à la SNCF et à sa culture, et puis, on quitte rarement un endroit dans lequel on est passé sous toutes les fourches caudines.
Romain Payet — C’est en ayant tout cela en tête que nous avons commencé à travailler avec Nicolas Bargèles. Son nom nous a été soufflé par le patron d’une grosse Rosco britannique — une société de leasing de locomotives — avec lequel nous avons commencé à échanger peu de temps après la naissance du projet. D’après lui, cet homme pourrait nous apporter l’expérience du secteur qui nous manquaient à Adrien et moi. Cette idée a d’ailleurs été corroborée plus tard par d’autres personnes qui nous conseillaient. Au point que nous avons fini par le contacter pour lui proposer une rencontre.
Une fois que Nicolas est face à nous, nous sentons immédiatement sa passion pour le ferroviaire. Et elle remonte à loin puisque, adolescent déjà, il avait monté un petit blog sur le secteur. Mieux encore, nous découvrons en parlant avec lui qu’il s’intéresse déjà de près à la façon dont le train de nuit pourrait être relancé. Autant vous dire que l’idée de travailler avec nous n’est pas sans lui plaire. Mais ce n’est pas tout. En effet, il ne nous faut pas longtemps pour réaliser l’immensité de sa compétence technique. Dans le monde du rail, il y a les experts de la production ferroviaire qui font rouler les trains, les experts du traçage de sillons, ceux de l’horairisation, du management ou encore du matériel roulant et de la maintenance. Nicolas, lui, est sur tous les sujets. A niveau de compétence exceptionnel.
Nous sommes tellement conquis que nous lui proposons de bosser sur de petites missions en freelance. La première d’entre elles consiste à faire un état des lieux du réseau sur lequel nous envisageons de nous lancer. Afin de nous permettre de choisir notre première ligne puis d’établir un plan de développement. C’est un gros boulot, qui demande beaucoup de recherches et d'analyses. Pourtant, cinq jours plus tard, il nous rend une copie impressionnante d’intelligence, d’efficacité et de lucidité. A la lecture du document, nous n’avons qu’une envie : lui demander de nous rejoindre en tant que premier employé-associé de Midnight Trains. Reste à savoir si un tel profil peut quitter son boulot chez Eurostar pour rejoindre une petite boîte comme la nôtre.