Romain Payet — Quand on lance une boîte comme Midnight Trains, la communication vers le grand public est essentielle. Cette newsletter bien sûr, mais aussi les médias. La presse écrite et la radio qui ont parlé du lancement. Les conférences, les podcasts, les publications spécialisées dans le ferroviaire. Et puis, il y a la presse financière. Pas Les Échos, La Tribune ou le Financial Times. Non, la presse financière qui parle des levées de fonds de startup ferroviaire n’ayant pas encore fait rouler de trains. Celle qui ne s’adresse qu’à son propre monde. Les grands dirigeants, les fonds d’investissement, les entreprises qui proposent des services aux précédents, les gros business angels. De manière plus générale, les gens pouvant avoir un important intérêt financier à connaître les détails de notre teaser, le dossier anonymisé que notre banque d’affaires envoie aux différents fonds.
C’est un média de cet ordre qui nous contacte à l’époque. Un petit site britannique qui nous propose une interview. Le journaliste n’y va pas par quatre chemins : il a des informations confidentielles sur notre levée de fonds et il va les publier. Il nous propose donc de répondre à quelques questions à ce propos, de commenter ce qu’il a en sa possession. Cela enrichira son article et nous permettra de garder un certain contrôle sur ces informations. Bien évidemment, nous déclinons. Nous ne savons pas ce qu'il a vraiment et nous avons des accords de non-divulgation signés avec pas mal de nos partenaires. La banque d’affaires aussi refuse cette sollicitation, pour des raisons aussi évidentes que les nôtres.
Adrien Aumont — Sauf que l’article sort quand même. Il est court et factuel. Il contient toutes les informations que contenaient les documents envoyés aux potentiels investisseurs. Il dévoile le montant espéré de notre levée de fonds, nos ambitions à long terme, les origines-destinations de nos premières lignes. C’est indéniable, ces journalistes sont bien informés. Ils ont, a minima, eu accès au document. Il a beau être confidentiel, il circule. Les bons médias spécialisés ont des contacts dans les entreprises autour desquels ils gravitent. Ils en connaissent les dirigeants comme les petites mains. Les journalistes croisent les décideurs, ils déjeunent parfois ensemble, voire sont amis. Et de toute évidence, quelqu’un dans l’une des boîtes que nous avons contactées a fait fuiter les informations de notre teaser.
Ce n’est paradoxalement pas une mauvaise nouvelle. En fait, c’est même une excellente chose. Car, quelques jours après cette publication, notre banque d’affaires est contactée. Par deux fonds d’infrastructures. Un Français et un autre d’Europe du Nord. Les échanges avec le premier ne vont pas bien loin et la piste refroidit vite. Quant au second, c’est un peu différent. Il ne s’agit pas d’un mastodonte. C’est même plutôt un petit fonds, plutôt habitué à investir dans son secteur géographique immédiat. Mais il semble vraiment intéressé par notre projet, et déterminé à investir dans nos trains. Alors, nous avançons avec lui.
Nicolas Bargelès — Le processus de travail que vous connaissez désormais si bien recommence : rendez-vous en visio, envoi des premiers éléments, nouveau rendez-vous en visio, présentation plus approfondie du projet, demande d’éléments complémentaires et ainsi de suite. Une fois ces échanges terminés, nos interlocuteurs sont clairs : ils sont toujours très intéressés mais ils doivent soumettre le projet à leur comité stratégique à la fin du mois d’août. Nous savons désormais que ce genre de réponse n’est pas un oui. Ce fonds d’infrastructure veut investir dans l’AssetCo. Il correspond parfaitement à ce que nous cherchons. S’il investit, le fonds d’investissement public dont nous avons parlé la semaine dernière pourra se positionner en suiveur sur les actifs. Nous aurons donc, dans l’ordre, le fonds majoritaire, le géant public et ce fonds d’infrastructure en suiveur pour l’OpCo, la société opérationnelle. Et les mêmes, dans l’autre sens, pour l’AssetCo. Cela ne suffira pas pour acheter tous nos trains mais c’est un bel alignement de départ. Il faudra ensuite emprunter auprès de banques mais le fonds nous rassure sur le sujet. C’est leur métier, ils savent le faire et ils nous accompagnerons là-dessus. Enfin, et surtout, ces différents acteurs communiquent entre eux, parfois sans nous, pour organiser notre financement au mieux. Nos carrières et nos expériences passées nous ont appris à nous méfier mais un climat de confiance règne. Notamment du côté de ce nouvel entrant avec lequel, officieusement, tous les signaux sont au vert.
Bref, les nouvelles sont bonnes. Il ne nous reste qu’à convaincre notre comité stratégique de nous permettre de “faire le pont”. C'est-à-dire de nous acheter quelques mois pour mener ce montage à bien. Mais avec un tel tour de table, nous avons de sérieux arguments pour convaincre nos actionnaires.