Connus pour leur rapidité, leur propreté irréprochable et leur ponctualité légendaire, les bullet trains japonais connus sous le nom de Shinkansen font rêver les passionnés de train du monde entier. C’est d’ailleurs plus généralement le cas du système ferroviaire nippon dont l’efficacité est érigée en modèle dans de bien nombreux endroits de la planète. L’archipel cache pourtant une ligne qui rompt brutalement avec la quête de perfection permanente et de vitesse de pointe de ses grandes sœurs : la Gonō Line. Celle-ci accueille en effet des trains bien particuliers qui, s'ils ne sont ni sales ni en retard, ont la particularité de prendre leur temps. Ce qui, que ce soit au Japon ou ailleurs, est bien souvent une qualité largement sous-estimée.
Longue d’un peu plus de 147 kilomètres, cette ligne ouverte par étape entre 1908 et 1936 est située le long de la mer du Japon, dans la région de Tōhoku. Notre voyage commence à la gare de Kawabe, dans le village d’Inakadate, dans la préfecture d’Aomori. Ici, dans cette petite commune où certains habitants réalisent de gigantesques dessins en plantant des riz de différentes variétés dans les champs, nous sommes très loin de l’agitation tokyoïte et de ses immenses flots de voyageurs disciplinés. A côté de la tentaculaire gare de Shinjuku, connue pour être la plus fréquentée du monde avec plus de 3,6 millions de passagers par an, celle de ce village de 7 800 habitants semble bien modeste. Pourtant, ce petit bâtiment blanc sans prétention est le point de départ d’une expérience ferroviaire dont vous vous souviendrez longtemps.
En plus des liaisons régulières qui y circulent, la Gonō Line est empruntée par un train spécialement conçu pour l’émerveillement. Appelé le Resort Shirakami et parfois surnommé “le train joyeux”, ce tortillard réduit par moment sa vitesse à environ 10 kilomètres par heure afin que ses passagers puissent profiter du paysage. Et il y a de quoi puisque son itinéraire longe une partie de la côte ouest de l’île sur laquelle il se trouve et passe par de nombreuses merveilles naturelles et culturelles. L’une des plus impressionnantes parmi elles est indéniablement l’incroyable formation rocheuse de Senjojiki où l’eau et la pierre se mêlent dans une étreinte d’une douzaine de kilomètres. Accessible à pied depuis l’une des nombreuses stations situées le long de la ligne, cette particularité géologique a été formée, selon les spécialistes, par un séisme vieux de plusieurs siècles. Ce qui n’empêche pas une légende locale de raconter qu’un ancien seigneur du cru utilisait les lieux pour installer des tatamis et donner de grands banquets.
On remonte maintenant à bord de notre train pour continuer cette aventure japonaise, qui est aussi sociale que ferroviaire. A l’intérieur, l’ambiance est radicalement différente de ce que vous pourriez avoir vu dans d’autres trains nippons. Les passagers qui s’y trouvent ont volontairement décidé de prendre le temps de profiter de la splendeur de la nature et de se débarrasser, le temps d’un voyage, de la pression d’un quotidien harassant. Mais ce n’est pas tout. Comme le raconte un article de la BBC Travel, une petite mélodie rappelant celle d’un jouet ancien résonne à chaque arrêt et certaines couchettes peuvent être converties pour que ceux qui le souhaitent puissent s’asseoir en tailleur pour admirer la vue.
Le train arrive maintenant à proximité du Furofushi Onsen, qui pourrait se traduire par “source chaude de la vie/jeunesse éternelle”. Installés sur la côte elle-même, ces bains que l’eau des vagues vient entourer, permettent de profiter d’une incroyable vue sur la mer en profitant à la fois de la chaleur des vasques et de la fraîcheur de la brise marine. Soit une délicieuse manière de se plonger dans la tradition japonaise de la baignade dans une source chaude. Attention tout de même à ne pas y passer trop de temps sans quoi vous risquez de rater les nombreuses autres splendeurs offertes par un trajet sur la Gonō Line.
Celles-ci sont tellement nombreuses que nous ne pourrons pas toutes les citer dans ces colonnes. Nous vous proposons cependant de faire un dernier arrêt pour visiter le site de Shirakami-Sanchi. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1993, il comprend la plus grande forêt vierge de hêtres restant en Asie du sud-est, qui abrite notamment des ours noirs, des serows du Japon, un mammifère de la famille des caprins, et plus de 80 espèces d’oiseaux. Si l’accès de certaines zones est soumis à une demande d’autorisation, il est tout de même possible de profiter — avec le plus grand respect du monde — de la beauté mystique des lacs de Juniko. Parmi eux, ne manquez pas celui que l’on nomme Aoike, dont le bleu légendaire change de teinte en fonction du temps et de la saison.
Bien évidemment, il existe beaucoup d’autres arrêts mémorables le long de la Gonō Line. Si vous en avez le temps et l’envie, nous ne pouvons que vous conseiller d’en faire le plus possible. Chacun d’eux rendra votre trajet un peu plus unique, quel que soit l’endroit où vous décidez de quitter définitivement ce chemin de fer. Celui-ci est tellement spécial que, toujours selon le journaliste de la BBC Travel, les voyageurs de son train, lui compris, ont tous reçu un certificat commémorant l'achèvement de cette expérience sensorielle. Une initiative qui nous rappelle à tous qu’il est peut-être temps de récompenser les gens qui font le choix du rail et, plus largement, d’une certaine forme de lenteur. Un peu comme lorsqu’on choisit un train de nuit plutôt qu’un avion.