D’ores et déjà omniprésente dans différentes zones du globe, la voiture électrique n’a pas toujours été aussi populaire qu’aujourd’hui. Son ascension a été lente, longue et pénible mais inarrêtable.
Una mattina, mi sono alzato… Ces quelques mots d’italien vous disent quelque chose ? Mais si, souvenez-vous ce sont les paroles d’ouverture de l’une des plus célèbres chansons du monde : Bella ciao. Issu d’un chant du folklore transalpin retranscrit au début du XXe siècle et doté de paroles successives dont les dernières auraient été écrites en 1944, ce morceau a pourtant été découvert par des générations d’humains dans la série espagnole La Casa de Papel. Si bien que, devant le succès des centaines de remix électro de Bella Ciao, de nombreux journaux se sont fendus d’articles et de vidéos pour expliquer à leurs contemporains que ce n’était pas une invention récente, loin de là. Eh bien, la voiture électrique est un peu la Bella Ciao de la mobilité.
En effet, contrairement à ce que disent ses détracteurs, il ne s’agit pas d’un délire sans avenir de bobos progressistes. C’est en réalité une technologie extrêmement ancienne dont les premiers prototypes remontent au premier tiers du XIXe siècle, le plus ancien étant vraisemblablement celui de l’écossais Robert Anderson en 1834. Quelques décennies plus tard, la voiture électrique semble même avoir un bel avenir. “Entre 1895 et 1905, les trois technologies de l'époque — la vapeur venue du train, l'électrique et le thermique — étaient en concurrence. Il faudra donc pratiquement attendre l'avènement de l'automobile de masse chez Ford, avec le moteur à explosion, pour qu’un standard s’impose et s’installe dans le temps”, précise Bernard Jullien, maître de conférences en économie à l’Université de Bordeaux et spécialiste de l’automobile. Sauf que dans une industrie aussi lourde que l’automobile, on ne change pas facilement de standard. L’expert développe : “Quand un standard s'impose, que ça devient la référence, on n’interroge plus cette industrie. Cette unique technologie attire toutes les attentions et draine tous les investissements de la filière, et c’est la même chose dans ce qu’on pourrait appeler les filières annexes.”
Après avoir été écrasée par son équivalent thermique, la voiture électrique a donc tenté de revenir sans grand résultat durant des décennies. Au point que, même après le second choc pétrolier de 1979-1980, les industriels et les décideurs politiques peinent à entrevoir la possibilité d’un changement. En cause, le poids de ce fameux standard. Pareil à la fin des années 2000 et au début des années 2010, dans la foulée du Grenelle de l’Environnement. “À ces moments-là, on regarde attentivement l’électrique, notamment en France, mais on tergiverse. On se demande si le thermique n’a pas encore un peu d’avenir. Chaque fois, on se dit qu’il y a quand même énormément à perdre en abandonnant l'ancien standard, parce qu’il y a quand même un capital installé, des bonshommes qui ont été formés pendant des années, une différenciation des compétences qui s'est faite d'une firme à l'autre”, poursuit Bernard Jullien. Bref, on lambine. Jusqu’en 2015 où, toujours selon l’expert du secteur, des évènements comme la révélation du diésel-gate de Volkswagen et la COP21 à Paris, vont enfin donner un véritable souffle à la voiture électrique : “À partir de ce moment-là, il y a effectivement une reconfiguration qui, en trois, quatre ans, va pratiquement conduire à ce qu'on a aujourd'hui, soit l'imposition de l'électrique comme standard mondial pour l'industrie automobile du futur”.
Soudain, — ô miracle — les arguments anti-voitures électriques, comme le manque d’autonomie ou le manque de bornes de recharges, disparaissent rapidement. “Quand on regarde où en était le véhicule thermique en 1905, on a les mêmes objections. Il n'y avait pas assez de pétrole disponible, pas de standardisation des qualités de pétrole et pas de distribution de pétrole, ainsi que toute une série de bugs dans les moteurs à explosion. Sauf qu’on va lever ces barrières petit à petit parce que tout le monde va être convaincu que c'est ça qui va permettre à l'automobile de se développer. Même dans la France des années 1950, il n’y a pas assez de stations essence et nombre de gens rechargent leurs réservoirs avec des bidons, des réserves qu’ils font. Donc ces questions sont légitimes à propos de la voiture électrique mais elles seront d’autant plus facilement réglées qu’il y a un quasi consensus sur le fait que l’avenir de l’automobile sera électrique”, rappelle Bernard Jullien. Cette conviction s’est d’ailleurs répandue aussi bien chez les politiques et les constructeurs que chez les automobilistes, puisque les immatriculations de voitures électriques ne cessent d’augmenter. Selon les calculs du chercheur, les véhicules électriques seraient aujourd’hui un peu plus de 800 000 en France, pour un parc total d’environ 40 millions de véhicules, et représentent environ 15% des nouvelles immatriculations. Un brin d’herbe certes, mais qui devrait rapidement avoir la taille d’un arbre. Ou bien un banal air folklorique sifflé par un berger qui ne tardera pas à devenir un tube utilisé dans des séries et remixé dans les plus grandes boîtes de nuit du monde.