J’ai deux amours, chantait-elle, dans une mélodie qu’on lui associe encore aujourd’hui, dès lors que l’on prononce son nom. Oui, c’est bien Joséphine Baker qui est au cœur de l’histoire d’ouverture de Midnight Weekly, cette semaine. De cette grande dame, on a tout dit : chanteuse, danseuse, meneuse de revue, actrice et résistante durant la Seconde Guerre mondiale. Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier la palette de ses talents et de ses engagements.
Ceux-là même qui lui valent d’être sur le point de devenir la sixième femme à connaître les honneurs suprêmes français. Le 30 novembre prochain, le Panthéon, monument-sépulture pour les personnalités ayant marqué l’histoire de France, deviendra sa dernière demeure. A quelques semaines de sa panthéonisation, nous avions envie de vous raconter combien le train a marqué au moins deux épisodes mémorables de sa vie.
Le premier d’entre tous est sans nul doute celui de son arrivée à Paris. Si c’est dans une famille pauvre du Missouri, victime de la ségrégation raciale, qu’elle naît, c’est bel et bien à Paris que Joséphine Baker va renaître, alors qu’elle n’a que 19 ans. Sa vie change du tout au tout lorsqu’elle accepte la proposition de quitter les Etats-Unis pour la France, où on lui promet des lendemains qui chantent autant qu’ils dansent. Après une longue traversée en bateau de New York à Cherbourg, c’est par un matin de 1925 que son train arrive de Normandie à son terminus de la gare parisienne de Saint-Lazare. Dans le livre Joséphine, écrit avec son quatrième mari, Jo Bouillon, voici comment ils le racontent :
“Il pleuvait, ce matin de 1925. La gare Saint-Lazare grouillait de son flot quotidien d’usagers pâles et sinistres. Soudain, la foule animée se figea. Un groupe survolté et criard venait de descendre du train Le Havre-Paris. Ils portaient d’étranges instruments et riaient aux éclats. Leurs jupes aux couleurs de l'arc-en-ciel, leurs jeans fushia, leurs chemises à carreaux ou à pois, illuminaient le quai gris... Une grande fille élancée, habillée d’une salopette à carreaux noir et blanc et d’un chapeau incroyable, se détacha du groupe. "Alors, voici donc Paris", s'écria-t-elle. Ce furent les premiers mots de Joséphine à propos de la ville qu'elle allait conquérir”.
C’est une certitude. A les lire, cette entrée en gare est davantage une entrée en scène qui, sans presque mot dire, laisse sans voix celles et ceux qui y assistent, dans un des bonheurs fortuits propres à l’univers ferroviaire. Avec ses coreligionnaires artistiques, Joséphine Baker a quitté un pays “où elle avait peur d’être noire”. “Nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça. Je me suis sentie libérée à Paris”, racontera-t-elle plus tard. Ce jour-là, c’est la fougue de leur libération qui les porte autant qu’elle a les a transportés jusqu’aux quais de la capitale française.
Les mois passent et il n’est pas nécessaire ici de vous narrer le succès immédiat qui accueille Joséphine Baker, au long des Années folles. Non, remontons plutôt tout de suite à bord d’un train dont la vedette du music-hall va être une habituée au cours des années à suivre : le mythique Orient-Express qui lui permet de se produire bientôt au-delà des frontières françaises.
Le 12 septembre 1931, la voici qui prend ses quartiers sur rails dans la voiture 3309, une voiture-lit de première classe, qui avait déjà vécu une aventure mémorable lorsqu’elle avait été bloquée dans la neige pendant plusieurs jours. Joséphine Baker ne le sait pas encore, mais cette voiture a quelque chose de maudit. Il est 23h30 quand l’Orient-Express quitte la gare de Budapest en direction de Vienne, et rien ne laisse alors présager de l’horreur qui l’attend.
Sur les coups de minuit, alors que le train s’élance sur le viaduc de Biatorbágy (Hongrie), un retentissant déchirement métallique se fait entendre. La locomotive se dresse littéralement avant de prendre la direction du ravin, charriant avec elle deux voitures dans sa chute. Un attentat, fomenté par un déséquilibré proche de l'extrême-droite, vient de survenir. Il cause la mort de vingt-deux passagers et en blesse grièvement un grand nombre.
Joséphine Baker doit sa vie sauve au fait que cette nuit-là, les voitures de première classe étaient installées en queue de train. Sous le choc de l’attentat et néanmoins physiquement indemne, son comportement fut alors à son image : héroïque. Passée la violence de l’attentat, Joséphine Baker prête immédiatement main forte pour secourir les victimes blessées, avant même l’arrivée de la police et des secours.
Alors que ceux-ci finissent par gagner les lieux du drame, sans laisser quiconque les quitter, la légende assure que Joséphine Baker n’aurait pas hésité à user de son art pour apporter un peu de réconfort aux survivants. Le long des voies endeuillées, là où ils se tenaient regroupés et sonnés, la chanteuse à la voix d’or aurait alors improvisé le récital le plus apaisant de toute sa carrière. Une grande dame, qu’on vous dit, de celles à qui la patrie a de quoi être reconnaissante.