Avez-vous déjà lu un article sur le record de vitesse d’un avion de ligne ? Probablement pas ou alors à l’occasion du test d’un nouveau modèle supersonique censé remplacer le Concorde pour rallier Paris à New York en brûlant plusieurs tonnes de CO2. A l’inverse, il n’est pas rare de voir le nouveau record de vitesse d’un train faire la Une des grands quotidiens ou de la presse spécialisée. Pourquoi une telle différence de traitement ? Tout simplement parce que la quête de vitesse est une composante essentielle de l’identité du ferroviaire.
Contrairement aux automobiles et aux avions, respectivement bridés par des raisons de sécurité et des raisons économiques, le train n’a jamais cessé d’accélérer. “Le chemin de fer était condamné à la vitesse dès sa création !”, affirme même Clive Lamming, historien du chemin de fer, interrogé par Midnight Trains. Auteur de plus de deux cents ouvrages sur le sujet, dont Le Larousse des Trains, le chercheur explique : “Il faut bien comprendre que c’est la vitesse qui a attiré un incroyable nombre de passagers vers le train alors qu’il servait à transporter le charbon.” Et on les comprend puisque le gain de temps permis par le chemin de fer était de taille. “Avec son arrivée, le trajet entre Paris et Marseille est passé de vingt jours en diligence à vingt heures en train, sa vitesse a donc divisé la durée de ce voyage par vingt-quatre. Aucun autre moyen de transport n’a permis un tel bond sur ces distances”, affirme encore Clive Lamming. Progressivement, face à la demande croissante, les compagnies ferroviaires acceptent de plus en plus de passagers. Et ce malgré les réticences de l’anglais George Stephenson, que l’on peut considérer à bien des égards comme l’inventeur du chemin de fer moderne et qui voulait donner la priorité au minerai. “Ils voyageront à la vitesse du charbon !”, aurait-il ainsi affirmé à l’époque.
La course à la vitesse, elle, ne s’arrête pas : pour transporter plus de charbon et plus de voyageurs, il faut faire circuler plus de trains, et pour faire circuler plus de trains, il faut qu’ils aillent plus vite. Ce qui ne tarde pas à arriver, à des échéances que l’on ne soupçonne plus aujourd’hui. “Les trains de marchandises et les trains de voyageurs omnibus passant de 20 à 60 km/h entre 1830 et 1900, et les trains de voyageurs, durant la même période, approchant par paliers un bon 100 km/h atteint par certains vers les années 1890 et confirmé pour un nombre plus grand de trains à la veille de la Première Guerre mondiale”, explique le spécialiste sur son blog. Et de poursuivre : “Dès la fin du XIXe siècle, le 100 km/h est une règle générale européenne pour l’ensemble des trains de voyageurs des catégories supérieures.” Après avoir atteint une vitesse moyenne comprise entre 120 et 140 km/h dans l’entre-deux-guerres, les trains accélèrent encore : “Les années 1960 à 1980 imposent le 160 à 200 km/h aux trains rapides classiques. Le TGV des années 1980 à 2000 apporte le bond jusqu’à 260/270 km/h, puis 300 km/h, puis, très récemment, cette vitesse est portée à 320 km/h avec l’inauguration, en 2007, du TGV Est.”
Pour le spécialiste, même si cette vitesse permet aujourd’hui au train d’être plus rapide que l’avion et ses temps cachés (trajet centre-ville/aéroport, temps de latence, contrôles de sécurité, etc.) sur des distances inférieures à 1000 kilomètres, elle n’a pas fonction à se stabiliser. Mais selon lui, il s’agit d’une question de pertinence, de Vitesse Optimale Economique (VOE). “C’est Jean-Marc Dupuy, ancien dirigeant de la SNCF, qui a inventé cette doctrine. Elle consiste à dire que les trains doivent aller suffisamment vite pour vider les avions mais pas plus”, résume Clive Lamming. Atteinte sur le court-courrier, cette VOE pourrait toutefois évoluer, surtout dans un monde où la crise écologique pousse de nombreux voyageurs à renoncer à l’avion, notamment pour les distances réduites. Après tout, si les trains se déplaçaient à 1000 km/h, nous les emprunterions probablement plus volontiers pour nous rendre en Europe de l’Est ou au Moyen-Orient. Mieux encore, si des trains de nuit se déplaçaient à une telle vitesse, nous pourrions peut-être voyager de l’Europe jusqu’à la Chine sans quitter le plancher des vaches.
Pour atteindre une telle vitesse, plusieurs voies technologiques s’offrent à nous. La première d’entre elles consiste tout simplement à faire accélérer nos bons vieux TGV encore et encore puisque, comme le rappelle Clive Lamming, des tests à 574,8 km/h ont été effectués avec succès en 2007. “Il me semble que les limites du système roue/rail ne sont pas atteintes”, nous explique-t-il, avant de préciser que cela exigerait des structures de train plus solides et des rames n’ayant que des roues motrices. La seconde technologie qui vient immédiatement à l’esprit est celle des trains à sustentation magnétique. A la fois très ancienne et quasi inexistante sur le réseau mondial, elle a fait la démonstration de sa capacité à déplacer des passagers à 607 km/h en 2015 avec le SCMaglev, dont la mise en circulation commerciale a été annoncée pour 2027. La troisième n’est autre que l’Hyperloop d’Elon Musk et ses capsules propulsées dans des tubes sous vide à plus de 1200 km/h. Dénué du moindre résultat probant à l’heure où sont écrites ces lignes, le projet a même été qualifié de “formidable escroquerie technico-industrielle” par François Lacôte, ancien CTO d’Alstom et personnalité mondiale du monde du rail.
Au milieu de cette course effrénée à la technologie, il existe toutefois une quatrième voie, plus discrète, moins tape-à-l’œil, qui consisterait à développer les infrastructures à Grande Vitesse actuelles sur un réseau plus large. En effet, un maillage européen, voire eurasien, permettant aux trains de se déplacer entre 300 et 350 kilomètres/heures ne serait-il pas suffisant pour éradiquer la concurrence aérienne ? Surtout si, soyons fous, des trains de nuit peuvent se déplacer à cette vitesse ? Ne serait-il pas plus pertinent d’étendre ce que nous maîtrisons plutôt que de nous lancer dans la construction de réseaux de tubes sous vide ou de rail à sustentation magnétique ? Cela ne serait-il pas plus écologique et plus sobre que d’ajouter une couche de rail hypothétique sur celle de la Grande Vitesse ? Car si elles semblent très différentes les unes des autres, les technologies évoquées plus haut ont toutefois un vilain défaut en commun : il est évidemment impossible de faire rouler de tels engins sur nos rails actuels. Leur déploiement à grande échelle impliquerait la construction de très importantes infrastructures ferroviaires. Mais cela est-il même imaginable ? Et si oui, à quelle échéance ? C’est ce que nous étudierons ensemble la semaine prochaine.