Saison 2 /  La Très (Très) Grande Vitesse
Episode 3 / La Très Très Grande Vitesse peut-elle faire disparaître l’aviation ?

De nos jours, les avions de ligne se déplacent, en moyenne, entre 810 kilomètres/heure et 920 kilomètres/heure. Alors, lorsqu’on parle de trains pouvant potentiellement circuler à plus de 1000 kilomètres/heure comme ceux que nous avons évoqués dans nos épisodes précédents, une question se pose immédiatement : peuvent-ils remplacer l’aviation ?


Du point de vue politique d’abord. Nous l’avons vu la semaine dernière, en plus de représenter un coût financier et écologique aussi délirant qu’impossible à estimer avec précision, la construction de lignes à Très Très Grande Vitesse demanderait une inflexible volonté politique. Or, un Hyperloop ou un Maglev se rendant, par exemple, de Paris à Pékin impliquerait, au minimum, de traverser la France, l’Allemagne, la République tchèque, la Pologne, l’Ukraine, la Russie, le Kazakhstan et, bien évidemment, la Chine. Vu le contexte géopolitique qui est le nôtre, l’idée d’un accord entre ces différentes puissances, animées de tensions les unes envers les autres, ne semble même pas de l’ordre de l’imaginable. Bien sûr, il existe certainement d’autres routes un peu moins directes, via le Moyen-Orient et le sud de l’Asie par exemple, mais les problématiques sécuritaires et logistiques ne seraient pas moins importantes.

Sur ce premier sujet, difficile donc d’imaginer que la Très Très Grande Vitesse prenne le pas sur l’aviation. La nature aérienne de cette dernière lui permet de survoler, c’est le cas de le dire, les tensions géopolitiques. L’invasion russe en Ukraine en est le meilleur exemple. Il a suffi aux compagnies aériennes de changer leurs plans de vol pour ne pas mettre leurs avions en danger et donc de continuer à faire tourner leur activité. Tandis que, comme nous vous en avions parlé dans une précédente newsletter, les Nouvelles Routes de la Soie ferroviaires ont dû rivaliser de créativité pour ne pas trop pâtir du conflit. Alors des hyperloops traversant l’Eurasie…


Du point de vue économique maintenant. Qui paierait les milliards de dollars nécessaires à la construction de telles lignes ? Et dans quel but ? L’Union européenne qui n’est pas capable d’avoir une politique ferroviaire commune ? La Russie étouffée par les sanctions occidentales et son effort de guerre contre un pays souverain ? La Chine qui a investi des dizaines de milliards dans le développement de ses Nouvelles Routes de la Soie pour continuer à inonder le reste du monde de sa production industrielle ? La République tchèque ? Le Kazakhstan ? L’Ukraine…


Là encore, le point va à l’aviation. Pour la simple et bonne raison qu’elle préexiste à la Très Très Grande Vitesse. Il n’y a plus rien à payer pour la faire fonctionner. Les aéroports existent déjà, les avions et leur marketing aussi. Or, nous le savons tous, nous ne vivons pas exactement les Trente Glorieuses et l’argent est loin de couler à flot. Difficile donc d’imaginer que les autorités des différents pays investissent dans de la recherche et des infrastructures qui ne feraient pas mieux que ce qui existe déjà. C’est peut-être triste mais les choses fonctionnent ainsi, même lorsque le capital écologique de la planète est en jeu.


Cela nous amène d’ailleurs à notre troisième point : l’impact écologique d’un éventuel développement de la Très Très Grande Vitesse. Nous l’avons déjà abordé la semaine dernière avec l’économiste du ferroviaire Patricia Pérennes, celui-ci ne serait probablement pas particulièrement satisfaisant. Mais même s’il est difficile à évaluer concrètement, un billet écrit par l’excellent Bon Pote en 2021 nous donne matière à réflexion. Dans celui-ci, le blogueur compare le coût écologique de la construction de LGV sur le territoire métropolitain français à la circulation des avions sur ce même espace. Bilan : les émissions annuelles des vols intérieurs, soit 1,6 million de tonnes de CO2, équivalent à la construction de 250 kilomètres de LGV chaque année puisque chaque kilomètre représente, en moyenne, 6200 tonnes de CO2. Même en ajoutant les émissions générées par le fonctionnement et la maintenance des lignes, environ 23 000 tonnes de CO2 en 30 ans, dans le cas des 140 kilomètres de la LGV Rhin-Rhône, cela donne le point au ferroviaire ultra rapide plutôt qu’à l’aviation. Bien évidemment, des lignes à Très Très Grande Vitesse auraient probablement un impact écologique plus important que les LGV mais, à terme, elles auraient probablement un meilleur bilan que celui du transport aérien dont les émissions ne se lissent pas sur le temps.


Enfin, il y a la question sociale. A qui s’adresseraient ces lignes à Très Très Grande Vitesse qui, de toute évidence, afficheraient des prix prohibitifs ? “Il faut comprendre que le choix du moyen de transport pour un départ en vacances est le résultat d’une équation complexe entre le temps disponible, la disponibilité financière, la configuration familiale et la façon dont on intègre le trajet au temps de loisir. La question écologique en est une composante mais elle n’est pas la seule et elle ne justifie pas à elle seule de privilégier un moyen de transport plutôt qu’un autre. Seuls ceux qui ont l’argent et le temps pour le faire peuvent se le permettre”, explique Bertrand Réau, sociologue du tourisme et professeur au Conservatoire national des arts et métiers. Il ajoute : “Bien sûr, on peut imaginer que si Elon Musk construisait un train sous-marin qui relie Paris et New York en trois heures, il y aurait peut-être un effet de distinction qui attirerait des gens. Mais pour un billet à quel prix et pour quel bilan écologique ? Qui serait sensible à un tel projet ?


Cependant, le sociologue précise que cela dépend aussi de la façon dont tout un chacun intègre le temps de transport à sa vision du voyage : “Si vous avez investi votre moyen de transport comme faisant partie de votre voyage, comme dans le cas de trains de nuit confortables, d’une compagnie aérienne plutôt qu’une autre, ou d’une première classe, vous allez l’apprécier et lui donner de l’importance dans la sélection de votre mode de voyage. Mais s’il s’agit simplement d’un moyen d’aller d’un point A à un point B, la plupart des gens iront au plus efficace et au plus en adéquation avec leurs moyens financiers. Cela dépend donc de la place que vous accordez à votre temps de voyage et à ce dont vous disposez pour le construire.” Pareil pour les voyages d’affaires qui, tant qu’ils ne sont pas réglementés écologiquement, continueront probablement de chercher la rentabilité et l’efficacité. Ce qui, à ce stade, ne semble donc pas aller dans le sens de la Très Très Grande Vitesse.

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