Saison 6 - L’avion solaire
Épisode 2 - Est-il aussi écologique qu’il n’y paraît ?


Alors alors, on est devenu champion du monde de Code Names ? On a déjà fait le tour de toutes les cartes du Trivial Pursuit Edition Spéciale Gastronomie (le dernier qu’il restait dans le fantomatique rayon jeux de société du supermarché de votre lieu de villégiature) ? Eh oui, les semaines passent mais, malgré quelques insupportables pics de chaleur ici et là, cet été 2023 continue à avoir grise mine. C’est pour ça (et parce qu’il faut bien qu’on avance dans notre saison) que nous continuons à vous parler de soleil. Enfin, de solaire, mais c’est quand même plus ou moins la même chose. Ou plutôt d’avion solaire. Mais franchement, vu qu’on a déjà dépassé la moitié de l’été, on en est plus à ça près.


Bref, comme nous l’avons vu dans l’épisode précédent, l’avion solaire est — c’est assez simple à se remémorer — un aéronef bardé de cellules solaires grâce auxquelles il fait tourner ses moteurs ou ses hélices. Mieux encore, pour pallier l’inévitable tombée de la nuit — qui, rappelons-le, arrive une fois par jour — il profite le plus souvent du jour pour charger des batteries au lithium pour voler sans s’arrêter. Une merveille de technologie et d’intelligence qui semble avoir réglé deux des principaux soucis de l’aviation : l’autonomie et une monstrueuse émission de gaz à effet de serre. Sauf que, bien évidemment, cette technologie a ses propres problèmes.

Que ce soit bien clair, nous n’allons pas faire ici le procès de l’énergie solaire. Abondante, renouvelable, gratuite et sans conséquence sur la biodiversité ou le climat, elle constitue probablement la plus vertueuse de toutes les énergies. Le problème tient plutôt à la façon et les outils avec lesquels nous l’exploitons. Comme le documente Greenpeace, la fabrication des cellules voltaïques conduit à d’importants dégagements et pollutions au silicium. Les panneaux solaires, eux, sont considérés par l’ONG comme bien recyclés, surtout si on les achète et qu’on s’en débarrasse en Europe, où la réglementation est stricte sur le sujet.


Ensuite, il y a les batteries au lithium, puisque les avions solaires ne pourront pas voler qu’en plein soleil. Ce n’est un secret pour personne, l’extraction de ce métal blanc — dont le prix à la tonne est passé de 5700 dollars fin 2020 à plus de 60 000 dollars fin 2022 — a été qualifié de catastrophe écologique par de très nombreux observateurs. Notamment à cause de sa consommation d’eau. Au Chili par exemple, dans le magnifique désert d’Atacama, une société américaine et une autre chilienne se partagent l’exploitation de 26% des réserves mondiales. Or, en 2022, la seule usine chilienne a déclaré pomper 400 000 litres d’eau par heure. Par heure. Soit 9,6 millions de litres d’eau par jour, 67,2 millions de litres d’eau par semaine et près 3,5 milliards de litres d’eau par an. A la louche hein. Sans surprise, les habitants et la nature alentour en pâtissent déjà.


Alors oui, vous avez raison, ce ne sont pas les avions solaires qui créent la demande en cellules photovoltaïques et batteries au lithium. Il serait faux et malhonnête de dire le contraire. En revanche, il y a un souci d’échelle. Le fameux Solar Impulse 2 dont nous parlions la semaine dernière embarque 17 000 cellules solaires et quatre batteries au lithium. C’est peu, évidemment. Sauf que malgré le fait qu’il ait l’envergure d’un Boeing 747, il peut à peine transporter son pilote, dans une minuscule cabine. Nous serions bien incapables de faire les calculs nous-mêmes mais il est clair que s’il devait embarquer 580 passagers — comme le peut un 747 — il lui faudrait beaucoup plus de cellules voltaïques et batteries au lithium. Vous avez un chiffre en tête ? Bravo. Eh bien maintenant multipliez-le par les 42 710 nouveaux avions qui parcourront le ciel à horizon 2040. Ne comptez pas, c’est très élevé.


Quoi qu’il en soit, même dans ces conditions, il est bien possible que l’avion solaire demeure largement moins polluant que son équivalent au kérosène. Seul problème, comme nous l’avons déjà évoqué précédemment, tout ceci est un exercice de pensée, une réflexion prospective comme nous aimons en faire. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison qu’il n’y aura pas de Boeing 747 solaires. Pour Gérard Feldzer, ingénieur et président d’Aviation Sans Frontières, si les moyen et les long-courriers doivent un jour utiliser de l’énergie solaire, ce sera à travers un système de propulsion hybride. Avec de l’hydrogène par exemple. Et ça, nous l’avons déjà vu dans une saison précédente, c’est très loin d’être écologique à ce jour. Heureusement, petite lueur d'espoir dans l’obscurité, l’avion solaire pourrait bien être utile dans un autre contexte.

Midnight Trains Logo