Alors, d’accord, on s’est peut-être un peu planté sur la météo de ce début d’été. Mais ne vous y trompez pas, le remplacement du combo canicule-short de surf à fleur-tongs Havaianas par un assemblage orages-poncho imperméable-bottes de pluie n’est pas un bon signe pour la planète (au niveau du style, c’est kif-kif). Et pour cause, il ne s’agit que de l’une des nombreuses, complexes et diverses conséquences du dérèglement climatique. Car, on le rappelle, n’en déplaise à certains, le fait qu’il puisse encore faire froid ou moche ne contredit en rien les analyses de milliers de scientifiques de tous bords. Bref, le fait que vous passiez votre début d’été à jouer au Monopoly avec les kids au lieu de bronzer pendant qu’ils bâtissent des châteaux de sable ne va pas nous empêcher de nous interroger sur la dimension écologique du train au biogaz.
Comme nous l’avons vu la semaine dernière, le train au biogaz pourrait avoir comme fonction de décarboner, encore un peu plus, la partie du secteur ferroviaire qui roule encore au diésel. Mais cette solution ne peut être que transitoire, pour d’évidentes raisons structurelles. En effet, comme l’explique le site de l’Ademe, l’agence française de la transition écologique, le biogaz résulte d’un processus de méthanisation, soit “une technologie basée sur la dégradation par des micro-organismes de la matière organique, en conditions contrôlées et en l’absence d’oxygène, donc en milieu anaérobie, contrairement au compostage qui est une réaction aérobie”. Pour le dire plus simplement, le processus consiste à prendre des déchets organiques — végétaux ou animaux — et à les faire fermenter dans une grande cuve de laquelle finissent par sortir deux produits : le biogaz donc, que l’on utilise comme carburant, et le digestat, sur lequel nous reviendrons.
Du côté des avantages, la liste est longue. Tout d’abord, la création du biogaz ne nécessite pas de fracturer le sol ni de plonger de gigantesques machines dans les entrailles de la Terre ni que des multinationales ne prennent le contrôle de ressources nationales dans des contextes géopolitico-économiques obscurs. Ce qui, de fait, lui confère un avantage non négligeable sur toutes les énergies fossiles comme le gaz d’extraction et le pétrole. Ensuite, comme l’explique le World Wildlife Fund (WWF) sur son site, ce processus de méthanisation capte une partie des monstrueuses quantités de fumier animal et de déchets alimentaires qui contribuent fortement à la pollution des sols à l’azote. Idem pour les eaux usées qui provoquent d’importants troubles écologiques si elles sont relâchées dans la nature. De plus, cela réduit drastiquement la méthanisation qui aurait de toute façon eu lieu dans les décharges ou les dépôts de fumier. D’une certaine manière, toujours selon le WWF, utiliser le biogaz comme carburant convertit donc du méthane en CO2 puisque comme l’essence ou le diésel il rejette des gaz à effet de serres lorsqu’il est brûlé. Sauf que le méthane est considéré comme étant trente-quatre fois plus problématique que le dioxyde de carbone.
On passe maintenant aux problèmes. D’abord, comme nous venons de le dire, la combustion du biogaz produit elle aussi du CO2. Son intérêt écologique réside donc dans le fait que le CO2 qu’il produit lorsqu’il est brûlé est moins problématique que les produits qu’on a éliminés pour le fabriquer. C’est un peu technique mais vous avez compris l’idée. Pourtant, les qualités de ce carburant sont aussi ses défauts. Pour produire du biogaz, il faut des déchets. Beaucoup de déchets. Or, dans une logique de décarbonation globale, ceux-ci sont voués à être réduits, qu’ils soient issus de l’agriculture ou de notre vie quotidienne. Il est absolument impensable de créer un monde dans lequel nous émettons plus de déchets pour pouvoir produire plus de biogaz. Cela ne remet pas en question la dimension écologique du biogaz mais cela le réduit à un rôle purement transitoire. Le temps que nous réduisions et consommions dans un moteur les 5,2 tonnes de déchets produites chaque année par chaque habitant de l’Union européenne. Ainsi, si le train de demain roulera peut-être au biogaz, ce ne sera pas le cas du train du futur.
Enfin, il y a un autre petit souci avec la production du biogaz : le digestat. Décrit par la site de l’Ademe comme “un produit humide, riche en matière organique partiellement stabilisée”, celui-ci est bien souvent répandu sur les champs comme un engrais. Bref, la boucle est bouclée. Nous avons recyclé des déchets polluants pour produire un carburant équivalent à ses homologues fossiles et nous utilisons ce qui traîne pour alimenter les champs qui produiront les fameux déchets. Et ainsi de suite. Sauf que malgré une littérature scientifique limitée, l’utilisation du digestat pose certains problèmes. Comme l’explique l’excellent site d’informations français Reporterre dans une enquête, ce digestat est “bourré de pathogènes” qui s’infiltrent jusque dans les nappes phréatiques où nous puisons notre eau potable. Pas fou donc. A noter toutefois qu’il existe des méthodes pour épurer encore ce digestat. Sauf qu’en plus de ne pas être systématiquement utilisées, elles sont bien souvent insuffisantes.
Alors oui, rouler en train de jour ou en train de nuit est bien plus écologique que de prendre un avion ou une voiture. Et oui, faire rouler ces trains au biogaz serait plus écologique que de le faire avec du diésel. C’est indéniable. Mais non, ce n’est pas une technologie parfaite. Loin de là. Mais tant que nous produirons autant de déchets dont il faut se débarrasser, elle conservera beaucoup de sens.