Petite mais costaude. La Suisse, c’est un peu le Roger Federer des chemins de fer en Europe : une force tranquille, qui ne la ramène pas et dont le service fait pourtant irrémédiablement mouche. Alors, avant que Midnight Weekly ne vous dépose en gare de Genève, commençons par lever le rideau sur les raisons du miracle ferroviaire helvétique !
Le gabarit de notre championne en titre n’empêche donc pas ses prouesses. Du haut de ses 41.285 km2 de superficie, la Suisse compte avec pas moins de 5.300 km de chemins de fer, qui permettent de dessiner 29.000km de lignes. C’est bien simple : c’est l’un des réseaux ferroviaires les plus denses d’Europe et les Helvètes ne s’y trompent pas. Quand bien même nombre d’entre eux considèrent le prix des billets encore trop élevé - sans doute le talon d’Achille de notre héroïne de la semaine - leur utilisation a tout du plébiscite. Jugez plutôt. En moyenne, une personne vivant en Suisse prend le train 71 fois par an et parcourt 2.400 km, soit deux fois plus qu’un habitant de France. Ça joue !
Et d’ailleurs, ça donne aussi des idées aux autorités qui, non contentes de convaincre les citoyens, positionnent leur pays comme un chantre du tourisme durable. C’est bien simple : pour gambader en Suisse, pas besoin de voiture puisque les chemins de fer vous emmènent presque partout !
A ce titre, le Grand Train Tour of Switzerland est un modèle du genre. Ce voyage combine les plus belles lignes panoramiques du pays grâce à un seul et unique billet de train, le Swiss Travel Pass. Aucune direction ou durée de voyage n’est recommandée ou imposée : libre à vous d’embarquer et de descendre selon vos envies. Que ce soit pour vous retrouver en pleine nature, gagner les stations de ski, dont certaines comme Zermatt ne sont accessibles qu’en train, ou rallier directement le centre des grandes villes helvétiques, le train est le meilleur moyen pour qui veut combiner plaisir et écologie à l’heure de traverser le pays. Une formule dont on aimerait bénéficier dans davantage de pays !
Et s’il n’y avait que la densité du réseau pour expliquer le succès du ferroviaire : les trains sont aussi ponctuels comme des...coucous suisses ! En 2017, les Chemins de Fer Fédéraux suisses (CFF) annonçaient fièrement un taux de ponctualité de 89% et un mot explique pour beaucoup, la raison de ce succès : le cadencement. Derrière ce concept appliqué depuis 1982, il y a une idée somme toute logique : en fonction de leur fréquence, les trains partent à la même minute, chaque demi-heure ou chaque heure, facilitant d’autant plus la régularité des correspondances. Ajoutez à ça que sur nombre de lignes, les arrêts à la demande sont de vigueur pour éviter les arrêts sans descente ni montée, et vous êtes bons pour voyager en Suisse, sans le moindre stress !
Oui, il y a quelque chose qui frise la perfection dans le système des chemins de fer helvétiques, et pourtant, ce n’était pas acquis d’avance. Dans un pays où plus de la moitié du territoire flirte avec les cimes alpines, cela n’a pas été tout de suite évident. En réalité, les premiers rails sont posés dans le pays bien après leurs voisins européens. Il faut attendre 1844 pour que les premières voies ferrées tracent leur premier sillon en Suisse, et à l’époque, elles arrivent de l’étranger puisque partant de Strasbourg, elles franchissent à peine la frontière pour conclure leur chemin à Bâle. Et l’idylle entre la Suisse et les trains de commencer.
Trois ans plus tard, la première ligne interne ouvre pour connecter Zurich et Baden, au moyen d’un tracé de 25 km. A ce moment-là, le retard des Helvètes est grand : l’Allemagne compte déjà pour sa part 6.000 km de chemins de fer, quand l’Angleterre en a déjà créé 10.000, pour vous donner une idée. Méthodiquement, la Suisse - et sa position centrale en Europe - va ensuite rattraper son retard au point de devenir pionnière.
En 1882, le plus grand tunnel ferroviaire d’alors y est inauguré : s’il ne fait que 15 km, la prouesse d'ingénierie est saluée par la presse internationale puisque le tunnel de Saint-Gothard passe mille mètres plus bas que le col alpin éponyme. Toujours avant la fin du XIXe siècle, la Suisse continue à aller au-delà de ce qui semblait jusque-là possible, construisant une gare qui, aujourd’hui encore, est la plus haute d’Europe : la gare du Jungfraujoch culmine à rien de moins que 3.454 m d'altitude.
Le XXe siècle n’ira pas dans le sens inverse. Les projets se multiplient autant qu’ils se concrétisent, l’un des plus impressionnants étant celui de Rail 2000. Validé par les citoyens suisses en 1987, il créera pas moins de 130 nouvelles constructions, avec pour objectif de démultiplier les possibilités de correspondances. Un nouveau plan, Rail 2030, continue actuellement le travail, et cela en dit long sur l’aspect déterminant de l’investissement public : chaque année, le pays débourse 404€ par habitant (contre 42€ en France, par exemple), ce qui assure un développement et un entretien pérennes pour ce réseau d’exception. De quoi donner des idées à d’autres pays ?
A l’heure où le train est devenu l’un des alliés infaillibles de l’action climatique, la Suisse est aujourd’hui capable de s’appuyer sur lui. Le fret en est un bon exemple, puisque nombre de camions transitent par la Suisse pour aller d’un bout à l’autre de l’Europe. Afin de limiter leur impact sur le climat, le gouvernement fédéral leur a rendu prohibitif le coût des autoroutes tout en leur proposant une solution ferroviaire pécuniairement plus agréable. Sur un axe nord-sud, les camions embarquent à bord de trains et en neuf heures (de sommeil salutaire pour le chauffeur du poids-lourd), le pays est franchi avec un bilan carbone bien moindre : au moins 30.000 tonnes de CO2 sont ainsi évitées chaque année.
Passionnés des enjeux croisés du ferroviaire et de la politique internationale, nous vous recommandons Géopolitique du rail d’Antoine Pecqueur où ce journaliste dissèque avec brio combien le train organise l’espace et les zones d’influences à travers le monde.