Saison 4 /  Trouver des trains

Episode 2 /  La chasse aux trésors - Juin-Décembre 2021



Adrien Aumont — Les trains d’occasion espagnols n’étant plus une option viable, nous avons dû nous pencher sur d’autres pistes. A ce moment-là, nous en avons deux. La première nous est amenée par un broker belge, un courtier spécialiste du matériel roulant, avec lequel nous avons été mis en contact par l’un des nombreux experts que nous avons évoqués il y a de ça quelques épisodes.

Au cours d’un échange, le broker nous explique qu’il s’agit d’une quinzaine de voitures construites dans les années 1970-1980 et ayant appartenu à l’opérateur historique d’un pays du nord de l’Europe. Il nous semble à l’époque que la piste est intéressante et nous lançons donc Luigi Martinelli, l’ingénieur spécialiste du matériel roulant, sur l’audit de ce matériel. Mais très vite, des problèmes identiques à ceux apparus avec les trains espagnols surgissent : il sera extrêmement difficile de réaménager ces voitures pour créer une expérience et un inventaire — la liste complète des différents types de chambres disponibles à bord du train — en adéquation avec la vision de Midnight Trains.

La seconde piste est plus rocambolesque puisqu’elle nous emmène en ex-URSS. Un autre expert du domaine nous révèle en effet qu’il connaît la personne qui a relancé la ligne de train qui relie une grande capitale d’Europe de l’Est à Paris et que, contre toute attente, il s’agit d’une actrice française, dont nous ne citerons pas le nom ici, ayant connu son heure de gloire dans les années 1980. Nous ne comprenons pas tout de suite ce qui se joue dans cette affaire mais nous prenons contact avec elle et elle nous dit qu’elle peut servir d’intermédiaire pour nous trouver du matériel roulant venu de cette région du monde.

Nous sommes donc invités dans son appartement parisien à partager un déjeuner quelque peu surréaliste où chaque phrase est l’occasion d’un toast porté à la vodka. Mais surtout, cette actrice nous raconte son histoire. Elle nous explique que, puisqu’elle est en couple avec un grand acteur de l’ancien territoire soviétique, elle prend très régulièrement l’avion entre l’Europe de l’Est et la capitale française. Jusqu’au jour où son appareil frôle le crash et qu’elle décide qu’il lui faut un autre moyen de faire la liaison : un train. Or, le hasard veut qu’elle se retrouve à danser, lors de son propre mariage, avec le patron des chemins de fer du pays de son mari. Elle saute sur l’occasion et lui explique son problème.

Magie des relations, elle est invitée quelques jours plus tard dans le bureau de ce ponte qui lui remet une lettre de mission lui permettant de recréer cette liaison ferroviaire. Ce qu’elle va faire, avec succès, au cours des mois suivants en allant frapper aux portes des différents acteurs du rail européen. Bien que nous soyons tenus de ne pas en dire plus, sachez que le voyage en train dont nous parlons prend plus de trente heures et traverse plusieurs frontières, avec tout ce que cela implique de changements de locomotives et de formalités douanières. Notre interlocutrice connaît donc très bien les problématiques qui sont les nôtres.

Quelques jours après cet improbable déjeuner, l’actrice nous recontacte en nous disant qu’elle a monté une équipe pour investiguer du matériel et nous demande une petite compensation financière pour l’opération. Il en ressort une proposition de matériel roulant qui souffre malheureusement des mêmes défauts que ses homologues. Nous ne pouvons pas changer grand-chose à l’intérieur à part un peu de décoration, ce qui nous empêche de créer le produit que nous avons en tête.

La question du réaménagement n’est pas le seul défaut commun aux trains d’occasion qui nous sont présentés. Il y a aussi le nombre de voitures achetables. La plupart de ces matériels roulants sont vendus sous la forme de packages allant globalement de douze à vingt-cinq voitures. Cela ne nous permet pas de nous projeter très loin dans le déploiement que nous imaginons. Notre but n’est pas de lancer une ligne et de nous taper dans la main en nous disant qu’on a réussi. Nous voulons créer un réseau couvrant toute l’Europe à horizon 2030, pas une simple ligne pour nous faire plaisir à horizon 2023.

Romain Payet — Pourtant, la mort définitive de la piste des trains d’occasion arrive par les chiffres. Au cours d’une conversation avec l’un des experts de la société avec laquelle nous avançons sur les questions de financement des trains, nous réalisons qu’il s’agirait d’un gouffre financier bien plus grand que ce que nous avions imaginé. Et pour cause, les trains d’occasion ne s’amortissent que sur quinze ans, contre trente ans pour les trains neufs. Nous paierons donc 1,4% d’intérêts par mois au lieu de 0,7%, ce qui, à une telle échelle, représente une différence monstrueuse.

Pour résumer, le matériel roulant d’occasion que nous cherchons est introuvable. Quant à ce qui est trouvable, ça ne correspond absolument pas à ce que nous voulons faire. Et quand bien même, cela nous coûterait finalement plus cher que d’acheter du matériel neuf parfaitement adapté à nos besoins. Virage à 180°, nous appelons Luigi Martinelli pour le missionner sur la recherche de notre nouveau trésor. Or, ça tombe bien, depuis le début, il n’a jamais abandonné cette piste et nous en reparle régulièrement. Une nouvelle quête commence.

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