Encore un petit nouveau sur le rail français. Après l’arrivée de Trenitalia sur le Paris-Lyon fin 2021, c’est cette fois-ci la Renfe — l’opérateur historique espagnol — qui met un premier pied dans l'hexagone en se positionnant sur deux itinéraires : le Madrid-Marseille et le Barcelone-Lyon. Après avoir obtenu un certificat auprès de l’EPSF, l'organisme chargé de la sécurité du réseau ferroviaire français, la compagnie a fait rouler des trains “à blanc”, sans le moindre passager, sur ces deux lignes. Ses AVE, des cousins du TGV tricolores — se sont donc élancés le 16 janvier entre la ville catalane et la capitale des Gaules et le lendemain entre la capitale espagnole et la cité phocéenne. Un passage obligatoire pour vérifier que les trains à Grande Vitesse espagnols, dont l’acronyme du nom peut aussi se traduire par “oiseau”, fonctionnent correctement sur les infrastructures françaises et pour former les personnels de bord. Du côté du matériel roulant, la société espagnole devrait commencer par utiliser les S-100 dont elle servait déjà, avant de passer sur des S-106, commandés auprès du constructeur Talgo, dont la date de mise en service est encore floue.
Pour les passionnés du secteur, ce mouvement stratégique de la Renfe n’a rien de surprenant. Alors qu’elle compose déjà en Espagne avec de nouveaux opérateurs comme Iryo et Ouigo, celle-ci ne fait que relancer les deux lignes qu’elle co-gérait depuis 2013 avec la SNCF. Cette dernière a toutefois mis fin à cette coopération au mois de décembre 2022 en prétextant, notamment, que le flux de passagers ne justifiait ni le nombre de liaisons existantes ni la fréquence de celles-ci. Ce à quoi s’ajoutaient des difficultés stratégiques à maintenir ce partenariat parallèlement au lancement des offres de Ouigo España entre Madrid et Barcelone.
En réaction, la Renfe se lance donc seule sur ces itinéraires transfrontaliers sur lesquels les avions à bas coûts ont récupéré de belles parts de marché en attendant l’ouverture de ces lignes. Selon la Renfe, celles-ci pourraient être accessibles aux voyageurs d’ici l’été, voire, dans les scénarios les plus optimistes, d’ici au printemps 2023. D’après les informations actuellement disponibles, l’offre se limiterait d’abord à six allers-retours par semaine, puis, dans un second temps à deux liaisons quotidiennes dans chaque sens. Du côté des tarifs par contre, rien de précis n’a été communiqué par la société espagnole.
Le véritable objectif de cette dernière sur le marché français ne se situe toutefois pas dans la moitié sud du pays. Et pour cause, la Renfe ne cache pas son intention de se positionner à terme sur le tronçon Paris-Lyon, le plus fréquenté et le plus rentable du territoire hexagonal. Cela devrait pourtant lui prendre encore pas mal de temps puisqu’elle doit refaire l’ensemble des démarches lui donnant le droit de faire circuler ses trains sur ce nouvel itinéraire. Les rames S-100 présentent en effet l’inconvénient de ne pas être autorisées à circuler sous TVM300 — le système de signalisation de cabine qui équipe le tronçon Paris-Lyon — pour des raisons de perturbations électromagnétiques. Ironie du sort, lorsque la Renfe disposera de ses S-106, aptes à rallier Paris, la LGV sera équipée en ETCS (European Train Control System). Les S-100 l’étant aussi, l’accès à la capitale ne leur sera vraisemblablement plus interdit. En attendant, la Renfe pourrait être contrainte d’équiper tous ses trains de capteurs spécifiques afin de pouvoir passer d’un système à l’autre et inversement. Ce qui pourrait représenter un investissement important.
Comme le rapporte le journal français Le Parisien, il semblerait tout de même que certaines lenteurs aient eu le don d’énerver de l’autre côté des Pyrénées. “En France, les exigences ne permettent d’obtenir un certificat de sécurité que pour opérer sur des lignes spécifiques et non sur l’ensemble du réseau. Nous continuerons à développer les travaux pour opérer dans toute la France”, a-t-on ainsi déclaré à la Renfe. Pire, celle-ci a soulevé l’idée qu’on lui mettrait des “bâtons dans les roues” pour ralentir son arrivée entre la Ville Lumière et la capitale française de la gastronomie. Ce qui a bien entendu été démenti du côté de SNCF Réseau, qui assure accueillir la Renfe “à bras ouverts”. Quoi qu’il en soit, l’opérateur historique espagnol semble déterminé à ne pas se laisser ralentir et a commencé à réserver des sillons-horaires dès l’été 2022. Avec des délais d’attribution pouvant atteindre les deux ans, cela lui permet d’espérer faire rouler ses trains entre Paris et Lyon d’ici à l’été 2024.
Malgré l'indéniable volonté du Red nacional de los ferrocarriles españoles, rien ne lui garantit à ce stade que son arrivée sur ce tronçon réputé juteux sera un succès commercial. En effet, selon France TV Info, les Frecciarossa de Trenitalia qui l’empruntent déjà ne sont remplis qu’à environ 50% en moyenne et n’ont transporté qu’un peu plus d’un million de passagers depuis que la société italienne y croise le fer avec la SNCF. Soit une toute petite partie des 45 à 50 millions de personnes qui empruntent ce tronçon chaque année. La seule chose qui est certaine c’est que la bataille que se livrent la SNCF, Trenitalia et la Renfe depuis l’ouverture du rail européen est loin d’être terminée puisqu’elle s’étend désormais à un nouveau théâtre d’opération. Il nous reste à espérer que ce soient les voyageurs qui en sortent gagnants.