Des voies ferrées ensevelies sous ce qui s’apparente au premier regard à un enchevêtrement de détritus. Cartons de toutes tailles, films plastiques protéiformes, objets difficilement identifiables, sont ce que l’on parvient à distinguer dans ce dépotoir ferroviaire en pleine ville de Los Angeles. En arrière-plan, on aperçoit un train sur le point de se faufiler au milieu de cette décharge à ciel ouvert, comme si de rien n’était.
Si cette image a fait le tour du monde au début de cette année 2022, c’est qu’elle est symptomatique des vicissitudes de notre société de consommation. Ces rails sont ainsi parsemés d’ordures suite à des attaques répétées de trains de fret convoyant des colis d’achats en ligne : méthodiquement, des brigands à la petite semaine vident les trains y passant à faible vitesse pour ne garder en butin que les biens les plus importants, jetant le reste au rebut du ballast. Drôle d’époque où Amazon et UPS constituent l’espoir d’un hypothétique casse du siècle.
Loin de nous l’envie de faire l’apologie du banditisme en ces premières lignes de cette nouvelle édition de Midnight Weekly. Par le passé, nous vous avons déjà donné à voir combien le train a pu devenir cette nouvelle diligence propice à une attaque, comme pendant la Seconde Guerre mondiale, en l’occurence à de nobles fins. Cette semaine, c’est une histoire tombée dans les oubliettes du siècle passé que nous exhumons : celle dite de L’Attaque du train de l'or.
Marseille, septembre 1938. Depuis dix ans, la lumière méditerranéenne ne parvient plus à contrebalancer la réputation de plus en plus noire dont souffre la deuxième ville de France. En cause, les parrains de la pègre locale qui se sont tout bonnement partagés le territoire de la cité phocéenne, pour y réaliser mois après mois leurs larcins de grande ampleur. La ville leur appartient et rien ne semble pouvoir arrêter leur entreprise mafieuse, au point qu’ils vont bientôt envisager ce qui sera présenté comme le casse du siècle.
Tout commence par une alliance inattendue entre des chefs de bande jusque-là irréconciliables. Joseph Rossi et Gustave Méla se sont donnés rendez-vous au Comptoir national, un bar du quartier de la Belle-de-Mai, à deux pas de la gare Saint-Charles. Ce jour-là, ces deux figures du milieu marseillais scellent un accord : ensemble, ils vont réaliser un coup qui pourrait leur rapporter très gros. Tous deux ont en effet eu vent d’un convoi ferroviaire particulier qui doit transiter par les quartiers nord de Marseille.
Ce convoi, c’est celui qui constitué de ce que ce recèlent les cales du navire Mariette Pacha, parti du Congo belge d’alors. Cette colonie africaine est riche de ses pierres précieuses et métaux rares en tout genre qui, une fois extraits, sont immédiatement expédiés en Belgique, pour étancher l’avidité des colons. Véritable caverne d’Ali Baba flottante, il contient or, pierres précieuses, bijoux et biens de grande valeur qui doivent être transférés dans un train de fret à leur arrivée au port de Marseille, pour prendre la direction d’Anvers et de la Suisse. Le 21 septembre 1938, tout était parti pour se passer comme prévu.
Jusqu’à ce qu’à 1h40, le train 4818, composé d’une vingtaine de wagons, s’élance tranquillement depuis la gare Saint-Charles. Quelques minutes à peine après son départ, le convoi est sur les voies traversant les quartiers nord de la ville quand soudain, les freins de secours se déclenchent, stoppant net l’équipée ferroviaire dans son élan. Les cheminots, pensant à un problème technique, descendent immédiatement de la locomotive pour s’en aller débusquer la source de leur tracas. Inspection faite, ils n’y comprennent rien à dire vrai : tout semble en parfait état de marche, et les voici donc prêts à reprendre leur route, quand tout de go, surgissent des ombres armées jusqu’aux dents.
Sans plus de sommations que ça, les hommes de main de Joseph Rossi et Gustave Méla tirent à tout-va, alors que les cheminots se jettent au sol, sauvant ainsi leurs vies. “Faites les morts ou on vous tue”, leur assène-t-on, tandis qu’en quelques minutes à peine, la pègre va dérober 180 kilos d'or, de diamants et de rubis bruts convoyés, soit l’équivalent de 7 millions de francs d’alors, entassés dans une fourgonnette qui filera fissa planquer son forfait.
Au lendemain, l’affaire fait grand bruit tant l’audace des brigands a rendu probable une attaque encore inimaginable dans l’esprit de la police comme des médias. D’aucuns décrivent - à raison - le casse du siècle. Très vite, les forces de l’ordre sous pression vont devoir trouver des explications à l’inexplicable : elles vont suspecter une complicité à bord du train, expliquant son arrêt idéalement soudain, qui se confirmera. Il faudra ensuite plusieurs mois aux enquêteurs pour remonter la piste des différents mafieux impliqués dans cette affaire, tant leur alliance elle-même était inenvisageable. De saisies en interrogatoires, l’affaire de L’Attaque du train de l’or passionnera l’opinion publique alimentée par une presse nationale et internationale fascinée par le succès de l’entreprise. Et si une partie de l’équipage de ce mafieux Ocean’s Ten sera arrêtée, plusieurs des bandits réussiront quand même à passer entre les mailles du filet.