Si la vie est faite de coups de chance, elle est aussi faite d’accidents. Des petits qui font mal aux genoux et des grands qui font mal au cœur. Des accidents heureux qui changent la face du monde et des accidents malheureux qui font la Une des journaux. C’est plutôt à cette dernière catégorie qu’appartient l’évènement dont nous allons parler aujourd’hui dans Midnight Weekly : l’accident ferroviaire de la Gare Montparnasse à Paris. Immortalisé par la photographie encore balbutiante et n’ayant fait qu’une seule victime, il est resté dans l’histoire comme l’un des plus célèbres accidents de l’histoire du rail.
Nous sommes le 22 octobre 1895 et le train express n°56 est parti de Granville, dans le département de la Manche, à 8h45 du matin. A 15h55 précise, il arrive sur la voie 6 de la Gare Montparnasse, son terminus. Mais il y a un problème à bord. Après avoir voulu rattraper le retard qu’ils accusaient à la gare de Versailles-Chantier, Guillaume Pellerin et Victor Garnier, respectivement mécanicien et chauffeur, réalisent que leur frein à air est défectueux. Ils décident alors d’inverser la pression et sifflent pour que les conducteurs activent le freinage d’urgence.
Pourtant, rien n’y fait. La locomotive, le tender (le wagon à charbon), deux fourgons à bagages, un wagon postal, puis dix voitures de voyageurs dont une voiture-salon et un dernier fourgon à bagages foncent à une vitesse de 40 kilomètres heures. Le butoire en bois, puis le terre-plein en béton et la façade de la gare sont pulvérisés par la violence du choc. Le train fou démolit ensuite le balcon de la petite terrasse donnant sur la place de Rennes et vient se planter dans le sol à l’endroit où se situe une station de tramway.
Aussi spectaculaire soit-il, l’accident de la gare Montparnasse ne fait qu’une seule victime : Marie-Augustine Aguillard, une marchande de journaux qui laisse derrière elle deux enfants de 5 et 9 ans. Guillaume Pellerin et Victor Garnier ont été éjectés au moment du premier choc et les passagers n’ont subi que des blessures très légères. Les dégâts matériels, eux, sont gigantesques.
Le plus fascinant dans l’histoire de cet événement tient à son impact médiatique. En quelques minutes, des milliers de badauds s'agglutinent autour des lieux pour voir les résultats de l’accident de leurs yeux. Si bien, que les autorités dépêchent cent-vingt gardes municipaux, vingt à cheval et cent à pied, pour contenir la foule. Totalement fascinés, certains petits malins vont jusqu’à acheter des billets pour des trains qu’ils ne prennent pas afin de pouvoir entrer dans la gare et voir l’étendue des dégâts de l’intérieur. Ce sont ensuite les journaux qui font leurs choux-gras de ce drame jusqu’aux Etats-Unis. En France, l’accident est couvert par toute la presse qui va parfois jusqu’à moquer un peu les faits. Ses conséquences sont feuilletonnées comme une émission de télé-réalité à la sauce 19ème siècle.
Il faut bien dire que les ingénieurs chargés de débarrasser cette locomotive encastrée dans le sol et ce tender suspendu en l’air font face à un sacré défi technique. Il suffit d’ailleurs de regarder les images de la catastrophe pour se les imaginer en train de se gratter le front sous leurs grands chapeaux ou en train de se lisser les moustaches l’air perplexe. Ces messieurs respectables commencent donc par accrocher solidement le tender pour éviter qu’il ne risque de tomber et de blesser les travailleurs ou les passants. La locomotive, lourde d’une cinquantaine de tonnes et dangereusement branlante, leur pose toutefois un bien plus gros problème.
Le pool d’ingénieurs chargé de la manœuvre finit par faire agencer des madriers en forme d’escalier puis de faire tirer la locomotive par cinquante hommes. Sans succès. Ce sont ensuite quinze chevaux qui suent sang et eau pour la déplacer. En vain. C’est finalement un dispositif incluant un grand treuil et un jeu de puissants vérins qui en viendra à bout. Le tender est ensuite remonté dans la gare et replacé sur les rails. Une fois encore, l’esprit l’a emporté sur la matière.
S’en suit alors une longue enquête et des batteries de test qui révèlent que le frein à air mis en cause pourrait avoir dysfonctionné, sans que cela puisse tout expliquer. On cherche alors à établir l’erreur humaine de Guillaume Pellerin et Victor Garnier à grands coups d’experts, de recherche de protocoles suivis ou pas par ces derniers. Reconnu comme étant un excellent employé et ayant l’excuse d’être en service depuis six heures trois quarts d'affilée au moment des faits, le premier est tout de même condamné à deux mois de prison avec sursis et cinquante francs d’amende pour homicide et blessures par imprudence. L’un des conducteurs de tête, Albert Mariette, est quant à lui condamné à une amende de vingt-cinq francs. Enfin, la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest reconnaît sa responsabilité civile dans la mort de Marie-Augustine Aguillard. Elle verse donc une petite indemnité à son compagnon et prend en charge l’éducation de ses deux enfants, promettant de leur trouver un emploi en son sein.
Ce que nous dit l’accident ferroviaire de la gare Montparnasse n’est pas anodin : que l’on parle d’une chute de cheval ou d’un basculement politique inattendu, ce genre d’évènement est toujours multifactoriel. Mais surtout, peu importe que certains se repentent et peu importe le nombre de cerveaux que l’on mettra en réseau pour réparer les dégâts, les choses ne sont plus jamais vraiment les mêmes après un accident.