Nous l’avons déjà vu, la technologie ferroviaire a permis aux hommes d’accéder à certains des milieux les plus hostiles de notre planète comme les sommets tibétains, le cercle arctique ou l’Ouest américano-canadien. Ce sont évidemment de magnifiques réussites techniques et humaines qui méritent toute notre admiration. Toutefois, à une époque où la protection de la planète constitue une nécessité absolue, la modernisation du réseau ferroviaire d’un pays européen connu pour la planitude de son sol n’est ni moins honorable ni moins importante. C’est en tout cas un enjeu majeur que nous allons explorer ensemble.
Depuis son arrivée à son poste, Georges Gilkinet, Vice-Premier ministre belge et ministre de la Mobilité, a donné une place capitale au ferroviaire. Celle-ci a rapidement pris la forme d'un ambitieux plan de transformation au long cours concernant aussi bien le fret que le transport de passagers : Vision Rail 2040. Le nom est aussi clair que les objectifs qui pourraient se résumer ainsi : plus de marchandises, plus de voyageurs et des prix particulièrement attractifs. Le ministre écologiste ne manque pas d'arguments pour défendre ce plan adopté en mai 2022. “Le train, c’est un quadruple bénéfice : évidement en matière de mobilité (plus il y a de personnes et de marchandises dans les trains, moins il y a d’embouteillages), d’économie (un euro d’investi dans le rail, c’est trois euros de retour pour l’économie), de climat (en réduisant notre dépendance aux énergies fossiles) et de santé publique (moins de polluants mais aussi moins d’accidents de la route)”, a-t-il expliqué à la presse belge. Et d’ajouter : “C’est un bénéfice pour l’ensemble de la société.”
Du côté du transport de passagers, Georges Gilkinet veut tout simplement faire passer la part modale du train de 8% à 15% à horizon 2040. Selon le journal belge Metro, 80% des habitants du pays vivent à moins de 5 kilomètres d’une gare. Ils ne restent donc qu’à les convaincre de délaisser leurs véhicules au profit d’un tortillard. Pour cela, le ministre a un plan en trois axes. Le premier consiste à proposer plus de trains, avec une amplitude horaire plus large. Ensuite, il souhaite encourager ceux qui le peuvent à voyager durant les heures creuses grâce à des tarifs préférentiels. Pour terminer, il veut pousser les entreprises à conclure des accords avec la SNCB, la Société nationale des chemins de fer belges, pour proposer un train à 0€ à leurs employés. Elles peuvent effectivement souscrire à une convention où l'employeur assume 80% des coûts tandis que le gouvernement fédéral prend le reste en charge.
L’autre aspect particulièrement intéressant de ce plan belge de transformation du rail est la place qu’il donne au fret. “Les besoins du fret ne sont connus que lors de la commande des sillons, peu de temps avant la date de circulation des convois. Cette absence d’anticipation ne permet pas d'orienter les investissements de façon optimale, et dégrade la qualité des sillons fret, dès lors qu’ils sont tracés dans les 'trous' laissés par la grille horaire voyageurs”, peut-on lire dans le fameux plan, relayé par le journal économique belge L’Echo. Pour cela, un catalogue de sillons-horaires serait mis à disposition des différents clients du rail, qui pourraient les acheter en “quelques clics”. Une approche particulièrement moderne, en rupture avec les systèmes d’attributions un peu rouillés et souvent fastidieux utilisés dans de nombreux pays d’Europe. A tout cela s’ajoute une volonté de moderniser les infrastructures, longtemps laissées à l’abandon, à horizon 2023, et la suppression des zones de ralentissement d’ici à 2027. Enfin, en 2030, le réseau belge devrait notamment être adapté au passage de trains de 740 mètres de long sur 4 mètres de haut, beaucoup plus compétitifs que ceux actuellement en service.
Evidemment, tout ceci a un coût : 3,4 milliards d’euros sur dix ans, en plus des dotations annuelles du ferroviaire. Or, le conclave budgétaire en a accordé trois à Georges Gilkinet qui en demandait quatre. Cependant, deux premiers milliards d’euros avaient été accordés au secteur en début de législature, ce qui devrait permettre à l’écologiste belge de rendre concrète son extraordinaire vision du train du futur. Redisons-le, dans celle-ci, il y a des trains toutes les trente minutes et toutes les quinze minutes dans les grandes villes. Le trafic y commence plus tôt et y finit plus tard afin de s’adapter à tous les modes de vie, y compris ceux des populations les plus défavorisées. C’est aussi un monde où le rail peut faire la course aux prix avec l’aérien. Pour cela, bien sûr, il faudrait que la TVA s’adapte. “C’est tout à fait logique de favoriser les modes de déplacement respectueux de la planète. Or aujourd’hui, on a une TVA à 0% sur les billets d’avion mais 6% pour le train, c’est le monde à l’envers !”, assène aussi le Vice-Premier ministre dans les colonnes de la presse belge. Les combats sont donc encore nombreux mais la détermination de cet homme et l’intelligence de son plan ont de quoi donner de l’espoir. Rendez-vous dans 10, 20 et 30 ans. Car c’est ainsi que l’on créera un rail performant et capable de changer le monde : dans le temps long.