Le Tren Maya mexicain n’est pas la seule menace ferroviaire qui pèse sur la forêt amazonienne. En 2015, la Chine a en effet annoncé sa volonté de construire une ligne de train reliant la côte atlantique brésilienne à la côte pacifique péruvienne : le Trans-Amazonian Railway, renommé Bi-Oceanic Railway pour d’évidentes raisons de green washing. Soit 3750 kilomètres de rails allant de Puerto de Santos à Puerto de Ilo en passant par les villes colombiennes de Sucre, La Paz et Cochabamba, les Andes et un bon morceau de forêt amazonienne, au grand dam des défenseurs de l’environnement. Un projet titanesque, dont la construction devrait coûter entre dix et quinze milliards de dollars, et dont l’objectif affiché est de créer un important boom économique pour les pays concernés, tous cruellement en manque d’infrastructures.
L’idée de ce train n’est pourtant pas uniquement sud-américaine puisqu’elle est sortie en 2013 des deux cerveaux associés des présidents chinois et bolivien. Deux ans plus tard, en 2015, lors d’une tournée officielle dans six pays du continent, le projet devient plus concret lorsque le Premier ministre chinois, Li Keqiang, affirme la volonté de son pays de le mener à bien. Ce dernier s’inscrit en effet dans la grande politique chinoise de construire de nouvelles routes de la soie, d’immenses itinéraires commerciaux permettant à l’Empire du Milieu d’exporter ses marchandises et d’importer ce dont elle a besoin. Or, le train bi-océanique pourrait à lui seul permettre de convoyer dix milliards de tonnes de marchandises par an.
Si la Chine est aussi intéressée par ce projet, ce n’est pas uniquement pour vendre ce qu’elle fabrique aux populations relativement modestes d’Amérique du Sud. Elle a aussi pour objectif de faciliter son approvisionnement en produits agricoles, particulièrement en soja, ainsi qu’ en cuivre. Un métal dont elle est gourmande et dont la Pérou est le second producteur mondial. La Bolivie y trouverait quant à elle un moyen de se désenclaver et de renforcer sa connexion avec ses voisins. Un enjeu fondamental pour ce pays qui n’a plus d’accès direct à l’océan depuis qu’elle a perdu son “département du Littoral” à l’issue de la Guerre du Pacifique à la fin du XIXe siècle.
Malgré ces annonces, le train bi-océanique peine à voir le jour. Depuis 2015, son développement se résume essentiellement à des études de faisabilité, qui l’ont beaucoup fait évoluer. Initialement prévu pour faire plus de 5000 kilomètres, l’itinéraire précis est encore sujet à débat. L’élément le plus concret à ce jour est la signature en 2019 d’un prêt de 3 millions de dollars par la Banque interaméricaine de développement (BID) à l’Etat bolivien pour financer le coût du programme de préinvestissement. Un signe positif dans une Bolivie en proie depuis la même année à une situation politique extrêmement agitée.
Depuis, rien. Ou presque. Malgré de menus travaux de nettoyage ou de préparation du corridor où est censé passer le train, le projet semble être l’arrêt. Mais cette lenteur ne semble pas avoir découragé la Chine de Xi Jinping de financer le projet. Et pour cause, celui-ci pourrait réduire le trajet des marchandises entre la Chine et le Brésil à 25 jours. Or, selon de nombreux analystes économiques des marchés émergents, Pékin est aujourd’hui considéré comme le second partenaire économique de l’Amérique du Sud ainsi que le premier marché d’exportation du Brésil. De quoi donner du cœur à l’ouvrage à Xi Jinping et à son gouvernement pour continuer à pousser.
Or, sans la Chine, point de train bi-océanique puisque la Bolivie, le Brésil et le Pérou auraient du mal à soutenir financièrement son développement. Ce à quoi s’ajoute le fait que la Chine possède une immense expérience de la construction ferroviaire, ce qui pourrait encore réduire les coûts et le temps de construction de cette ligne hors-du-commun. De plus, comme l’analyse le cabinet de recherches économiques Capital Economics, le Brésil et le Pérou auraient peu d’intérêt à la mise en place de ce projet si la Chine ne s’en sert pas pour importer et exporter. Ce que chacun d’eux a à vendre a peu de débouchés chez l’autre.
Au-delà des questions économiques, le train bi-océanique soulève de nombreux problèmes écologiques. En traversant une importante partie de la forêt amazonienne, il va nécessairement nécessiter l’abattage de milliers d’arbres, diviser les territoires de certaines espèces et, plus généralement, perturber lourdement la vie sauvage de cette zone capitale pour l’ensemble de la planète. A terme, la création d’une telle route commerciale pourrait même être le début d’une urbanisation d’une partie de l’Amazonie. Heureusement, à ce stade, le projet n’est pas suffisamment avancé pour que les défenseurs de la planète aient eu besoin de passer à une action radicale.