C’est une annonce majeure qui est passée inaperçue au cours des semaines passées, entre le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et l’agression mortelle dont a été victime le militant indépendantiste corse, Yvan Colonna. Le 24 février dernier, alors que Vladimir Poutine va lancer quelques heures plus tard son offensive contre l’Ukraine, c’est une toute autre histoire qui connaît son commencement sur les bords de la Méditerranée.
La Ciotat, 9h30. Dans cette ville séparée de Marseille par une trentaine de kilomètres, s’est donné rendez-vous un aréopage aussi inattendu que surprenant, à quelques semaines de l’élection présidentielle. Face au soleil qui s’étire paisiblement sur les flots méditerranéens, on peut voir Jean-Baptiste Djebarri (LREM), ministre des Transports d’Emmanuel Macron, flanqué de Renaud Muselier (LR), le président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et de Gilles Simeoni (Inseme per a Corsica, parti autonomiste corse), président du conseil exécutif de Corse.
Non loin de cet improbable triumvirat, les avertis peuvent aussi reconnaître Jean-Pierre Farandou, PDG de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), Arlette Salvo (LR), maire de La Ciotat, et Laurent Marcangeli, maire d’Ajaccio et figure du Comité central bonapartiste, un parti corse présenté comme conservateur et clérical. En dépit du peu de recul que nous avons plus d’un mois après cet instant, l’image a quelque chose de saisissant. Et l’annonce qui les réunit n’en est pas moins historique.
Après que le Tunnel sous la Manche fit école dans les années 1990 au point que deux tunnels sont à présent sur le point d’être immergés sous la mer Baltique - l’un reliant l’Allemagne au Danemark et l’autre reliant l’Estonie à la Finlande - la Méditerranée verra à son tour ses fonds prendre des atours tunneliers au service de l’épopée des 20.000 rails sous les mers.
En l'occurrence, un tunnel sous-marin partira de La Ciotat pour relier à grande vitesse la ville d’Ajaccio en Corse, en 2h15 de temps au moyen de 326 km de voies ferrées. Contrairement au Tunnel sous la Manche, il sera constitué d'éléments de béton creux posés dans une tranchée au fond de l'eau, puis recouverte de sédiments, à la façon de ce qui s’envisage pour réaliser le Femern, le tunnel germano-danois en mer Baltique.
S’il faudra attendre 2042 avant l’ouverture de la liaison ferroviaire entre La Ciotat et Ajaccio, ce n’en est pas moins “un engagement concret du gouvernement au service des transports bas-carbone, dans la lignée des objectifs impérieux de l’Accord de Paris”, a insisté le ministre des Transports en conférence de presse. En préférant le train à l’avion ou au ferry, un passager émettra en effet seulement 1,16 kg de C02, un bilan minime en comparaison aux voies aériennes et aquatiques. De même, le TGV Paris-Ajaccio générera seulement 4,01 kg de CO2 par passager, contre 116kg de CO2 en avion, une avancée non négligeable, alors que l’Île de Beauté a accueilli 3 millions de visiteurs en 2021.
Si les perspectives climatiques ainsi mises en lumière ont de quoi donner de l’espoir, ce nouveau tunnel pourrait toutefois avoir maille à partir avec les défenseurs de la biodiversité. Depuis plusieurs années, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme quant à la déliquescence de l'écosystème méditerranéen, sans jamais que de véritables mesures soient venues endiguer les sources de mal-être du Mare Nostrum. Suite aux annonces de la construction de ce tunnel, spécialistes comme activistes ont exprimé leur inquiétude, considérant que ses seuls travaux d’installation pourraient aggraver l’état préoccupant de la Méditerranée, déjà considérée par beaucoup comme la mer-cimetière de bien des espèces vivantes.
Face à cela, les élus dont les administrés pourraient être positivement impactés par la création du Tunnel sous la Méditerranée, brandissent l’argument de la création d’emplois. Au premier rang d’entre deux, Arlette Salvo, la maire de La Ciotat, pour qui l’annonce par le ministre des Transports de 20.000 emplois générés par les travaux et les activités du tunnel, a un effet d’aubaine. Depuis plusieurs décennies, les chantiers navals de sa ville - qui employaient jusqu’à 3.500 personnes au XIXe siècle - ont été de déshérence en espoirs déçus. L’édile ciotadenne en est certaine : ce tunnel accouchera d’une renaissance pour sa cité à mi-chemin entre Bandol et Cassis.
Qui sait? Peut-être dès 2042, les trains de Midnight Trains vous donneront-ils l’occasion de dormir sous la Méditerranée, le temps de rallier depuis Paris, Ajaccio…ou l’Italie ! Alors que cette nouvelle a pu passer inaperçue, elle n’en a pas moins aiguisé l’intérêt des autorités transalpines. Si les dirigeants de la Sardaigne et de l’île d’Elbe se sont pour l’heure gardés d’exprimer le moindre intérêt à ce qu’un autre tunnel les relie à la Corse, il n’en va pas de même pour Roberto Gualtieri, élu maire de Rome en octobre dernier. Lui verrait bien sa ville reliée à celles de Marseille et de Paris, via la Corse, en prenant ce tunnel nommé désir.