Saison 1 / La genèse

Episode 3 / On se marie toujours dans sa rue


Romain Payet — Je l’ai dit précédemment, j’ai dû faire mes propres recherches pour croire à l’idée d’Adrien de créer une entreprise de trains de nuit. Contrairement à lui, qui a besoin de se nourrir des gens, j’ai besoin de creuser, de compulser, d’analyser, de croiser des données. C’est dans ma nature, une nature profondément différente de celle de mon futur associé. D’ailleurs, nos parcours différent encore plus profondément. Ce qui, selon moi, les rend particulièrement complémentaires.

Pour commencer, je suis né sur l’île de la Réunion. Mon grand-père maternel est arrivé là un peu par hasard, parce qu’il faisait son service militaire en Afrique et qu'un ami lui a parlé de l'île et de son manque cruel d'infrastructures modernes. Il s'y est rendu et s’est vite retrouvé à la tête de l’une des plus grosses boîtes de BTP de la Réunion, qu’il a fini par vendre à la filiale locale d’un géant du secteur. Mon grand-père n’est d’ailleurs pas le seul entrepreneur de la famille puisque son fils, mon oncle donc, a monté sa propre boîte dans le même secteur après avoir travaillé pour mon grand-père.

De l’autre côté de ma famille, celui de mon père, j’ai un oncle qui appartient à la famille Farman, celle d’Henri et Maurice, deux frères comptant parmi les plus grands pionniers de l’aviation française. Le genre de types qui construisaient leurs propres avions et les pilotaient pour les tester. Mon oncle a lui aussi baigné dans le secteur avant de devenir antiquaire rue du Bac, dans le VIIe arrondissement de Paris, puis de transformer d’anciennes pièces d’aviation en œuvres d’art.

Malgré cette culture familiale de l'entrepreneuriat, je me suis longtemps identifié au profil de mon père plutôt qu’à ceux de mes oncles et de mes aïeux. Contrairement à eux, il a un parcours classique qui le conduit à intégrer des groupes dans l'agro-alimentaire, puis les spiritueux, à des fonctions de direction financière et générale. Dès mon plus jeune âge, je me réfugie en effet derrière une fausse timidité. Derrière elle, je cache le fait que je n'aime pas me forcer à être sociable. Ce qui va paradoxalement m’aider à développer ma plus grande qualité : ma capacité à lire les gens et les situations, à capter des signaux faibles et des signaux forts grâce à une position d’écoute. Je ne le sais pas encore à l’époque mais c’est ce qui va me permettre de croire à Midnight Trains des années plus tard.

Au moment où Adrien me parle de son projet, je suis donc secrétaire général de KissKissBankBank. Avant ça, j’ai quitté la Réunion pour un programme sport/études golf situé à Dinard, en Bretagne, et un passage éclair par l’université californienne de Berkeley, où je ne me suis pas senti à mon aise, ma timidité ayant été renforcée par la barrière de la langue. De retour en France, j’ai intégré Dauphine avant de faire un master à l’ESSEC et de travailler dans la fusion-acquisition. C’est un métier dans lequel je m’épanouis, où je travaille beaucoup et où je gagne très bien ma vie. Mais même si je n’ai jamais eu l’impression de vouloir devenir entrepreneur, je finis par me lancer avec un ami, Nicolas de Feraudy, dans un projet très proche de ce que font Adrien et ses associés chez KissKissBankBank. Mais Nicolas et moi sommes des primo-entrepreneurs et nous faisons donc des erreurs liées à ce manque d’expérience, avant de finir par rendre les armes.

C’est à cette époque que j’entre chez KissKissBankBank grâce à un ami avec lequel je joue au golf, il a entendu dans le bureau d’à côté que l’entreprise cherche des profils de financiers. Après quelques coups de fil et quelques rencontres, je commence donc à un poste de “super commercial” où il faut passer des centaines de coups de fils pour convaincre des gens d’investir. Clairement, je ne m’y plais pas et je ne suis pas bon dans ce que je fais. Heureusement, nouveau coup du destin, le CFO de la boîte est sur le départ et Vincent Ricordeau me propose de prendre le poste. Cette fois, je suis à ma place et je m’y épanouis durant des années. Jusqu’à cette bière avec Adrien et mes recherches personnelles sur le secteur du train de nuit.

Mon autre façon de faire avancer ma réflexion est d’en parler à mon père, mon juge de paix lorsqu’il s’agit de business. Il aime l’idée mais elle lui semble irréalisable. Pourtant, plus j’essaie de le convaincre, plus je me persuade que cette boîte peut marcher. Ce n’est pas très rationnel mais, comme Adrien avant moi, je le sens dans mes tripes. A cela s’ajoute le fait que, lorsque j’en parle à mon épouse, elle y croit tout de suite et me soutient à 100%. Un autre rendez-vous est donc pris : je dois lui dire que je veux le rejoindre dans cette aventure. Une fois ensemble dans un café du IXe arrondissement, il me montre des plans, des esquisses de projets, mais je n’ose pas lui dire ce que j’ai sur le cœur. Finalement, l’un de nous, je ne me souviens pas lequel, finit par lâcher les mots. On se tape dans la main et l’affaire est conclue. On va faire ce truc complètement fou ensemble.

Adrien Aumont — Au moment où les choses ont été dites, je me suis senti profondément soulagé. Je savais que Midnight Trains pouvait marcher mais maintenant, avec les compétences de Romain, je sais qu’elle va marcher.

Romain Payet — Après avoir négocié mon départ de KissKissBankBank, je rencontre donc l’équipe qu’Adrien a montée avant mon arrivée. Mon premier instinct est de la séduire, de m’y intégrer, pas d’analyser ses compétences. Et puis, avant de penser à recomposer ce groupe, nous avons une mission de premier ordre. Nous devons monter un board.

Adrien Aumont — Lorsque j’ai commencé à réfléchir au board de Midnight Trains, ma première pensée est allée à Cyril Aouizerate, le fondateur des hôtels Mama Shelter, que j’ai rencontré des années plus tôt. Après tout, puisqu’il a réinventé l’hôtellerie, il doit pouvoir nous aider à inventer des hôtels sur rails. Il suffit d’un coup de fil pour qu’il soit emballé. Si nous montons un conseil stratégique, il en sera. C’est une première prise de taille.

Ma seconde pensée est pour Guillaume Pepy, l’ancien patron de la SNCF, qui vient de quitter ses fonctions et dont je récupère le numéro de portable par un ami qui le connaît depuis toujours. Il attend mon appel mais celui-ci ne dure que quelques minutes : il est complètement coincé, il ne peut contractuellement pas s’engager dans quoi que ce soit qui touche au ferroviaire. Il me dirige donc vers quelqu’un d’autre, Odile Fagot, qui selon ses dires connaît tout de la maison SNCF. Ancienne directrice financière de SNCF Réseau, créatrice d’Intercités, ancienne directrice de la région Hauts-de-France et ancienne membre du board d’Eurostar, elle n’est plus en poste et elle a toutes les armes pour nous aider. Je ne le sais pas encore mais ce sera un coup de fil déterminant pour Midnight Trains.

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