Saison 7 -  Le train à l’hydrogène
Épisode 3 - Peut-on le passer à l’échelle ?


Nous l’avons vu au cours des deux derniers épisodes, le train à hydrogène est un peu ce partenaire amoureux qu’on a rencontré trop tôt. Celui ou celle dont on se dit à vingt ans qu’on voudrait faire sa vie avec, mais après avoir fait la fête, l’amour et le tour de la Terre. Plusieurs fois chacun. Car on sait pertinemment que si on se mettait ensemble trop tôt, ça ne collerait pas, qu'on n'est pas assez mature pour gérer quelque chose d’aussi énorme. Bref, qu’on se prendra un mur faute de prendre son mal en patience.


Bon, évidemment, si vous êtes de ceux qui ont rencontré l’amour de leur vie dans leur prime jeunesse, cette analogie ne vous dit probablement pas grand-chose alors on vous fait une petite piqûre de rappel. Le train à propulsion hydrogène est considéré par un parterre de décideurs et d’experts comme la solution du train du futur. Seul problème, la première entité publique à l’avoir testé — l’Etat allemand de Basse-Saxe — est d’ores et déjà en train de faire machine arrière. Verdict : trop cher à exploiter. Notamment à cause de la question de l’approvisionnement en hydrogène, puisque la première station de réapprovisionnement a coûté la moitié des 93 millions investis par la société ferroviaire allemande à la manœuvre dans ce projet.

Pourtant, bien évidemment, il serait un peu rapide de jeter le bébé avec l’eau du train. D’abord, lorsqu’on se plonge dans le détail de l’hydrogène-gate allemand, on comprend rapidement que le problème n’est pas tellement dû à la technologie en elle-même. Nos voisins germaniques ont effectivement fait face à des problèmes de disponibilités des conducteurs et d’approvisionnement en carburant, mais pas de fonctionnement de la technologie. Car celle-ci a atteint le début de sa maturité technologique. “Il s’agit d’une technologie de mobilité terrestre dont la plupart des briques technologiques sont déjà connues et utilisées ailleurs : pile à combustible, réservoir à haute pression pour stocker l’hydrogène, etc. Il n’y a que quelques contraintes d’intégration — notamment au niveau du remplissage des véhicules — et écologiques propres au ferroviaire qui la sépare de son équivalent dans la mobilité routière lourde”, explique Emmanuel Bensadoun, responsable du pôle Expertise/Études de France Hydrogène. Et d’ajouter : “Il n’y a donc pas besoin de saut technologique majeur, juste de quelques adaptations”.


Sur la question économique aussi, l’expert fait preuve de mesure. “Actuellement, les coûts des technologies sont extrêmement élevés car nous sommes à des prix qui sont presque ceux de prototypes, mais rien n’indique que cela est voué à rester ainsi. A contrario, il reste difficile d’estimer avec précision quand et à quel point les prix baisseront car cela repose en partie sur des innovations technologiques. Certaines d’entre elles sont déjà connues, d’autres moins, ou pas.” Emmanuel Bensadoun en veut pour preuve ce qui s’est passé autour de la technologie des batteries à lithium. Le genre de batteries qui équiperont les trains allemands de Basse-Saxe pour compléter la décarbonation du réseau. Dans les premiers temps, celles-ci avaient un coût extrêmement élevé, presque prohibitif. Mais, progressivement, une production de plus en plus massive a permis de les rendre accessibles, puis démocratisables. Idem pour la mobilité routière lourde fonctionnant à l’hydrogène : “Des études ont montré qu’à partir d’une certaine cadence de production, il y a un effondrement des coûts, qui se rapprochent de ceux des véhicules traditionnels. C’est pareil pour les trains à hydrogène, il y a beaucoup d’incertitudes mais une fois que la solution technique sera figée, que le prix de l’hydrogène vert sera stabilisé et que le prix de production sera adapté à une application commerciale, nous pourrons véritablement étudier la pertinence du train à hydrogène dans la décarbonation du ferroviaire”.


En effet, malgré les convictions de tout un chacun, les gros contrats annoncés comme prophétiques et les volte-face annoncées comme eschatologiques, l’usage du train à hydrogène reste sujet à débat. “En réalité, l’arbitrage entre les trains à hydrogène et les trains à batteries dépendra systématiquement de la ligne que l’on veut décarboner. De nombreux éléments entrent en ligne de compte, ce qu’on peut intégrer comme nouveaux matériels dans les gares concernées par exemple. De manière générale, il y a fort à parier que le déploiement de cette technologie sur le rail et des plateformes ferroviaires correspondantes soit assez modeste. L’hydrogène ne sera qu’une solution secondaire pour décarboner le train”, conclut le responsable du pôle Expertise/Études de France Hydrogène. Une fois encore, tout est dit : il n’y a pas une seule et unique solution pour une mobilité propre. Il y a des solutions ponctuelles, locales, adaptées à des contextes bien particuliers. Ceux qui disent le contraire ont certainement quelque chose à vendre à nos dirigeants.

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