Saison 3 /  L’avion à hydrogène
Episode 2 /  Peut-on vraiment faire voler les avions à l’hydrogène ?


Nous l’avons vu la semaine dernière, si l’hydrogène constitue la piste technologique la plus sérieuse à ce jour pour décarboner l’aviation, cette énergie est encore loin d’être produite de manière durable. En tout cas pas à grande échelle et pas avant un bon moment. Et pour cause, malgré une indéniable volonté politique dans plusieurs pays ainsi qu’un certain nombre d’investissements étatiques, les filières sont encore en phase de développement.

Faisons tout de même un peu de prospective — vous savez qu’on aime ça chez Midnight Trains — et imaginons que, malgré les obstacles, nous parvenions à produire assez d’hydrogène vert (celui que l’on obtient par une électrolyse de l’eau réalisée avec de l’électricité renouvelable) pour alimenter le parc aérien mondial. Dans ce scénario, une nouvelle question fondamentale se pose : les avions peuvent-ils concrètement voler avec de l’hydrogène ? Et si oui, de quelle manière et dans quelles conditions ?

A en croire les différentes annonces relayées par la presse, la réponse est un grand oui. En fait, à les lire, le futur de l’avion à hydrogène semble même rayonnant. Jugez vous-mêmes ! A la fin du mois de janvier 2023, France Info nous annonçait, vidéo à l’appui, un premier vol d’essai réussi pour un avion à l’hydrogène au-dessus de la campagne anglaise. Bon, dans les faits, un seul de ses deux moteurs fonctionnait à l’hydrogène, il n’est resté en l’air que six minutes et il ne pouvait transporter que dix-neuf personnes. On est donc assez loin du vol transatlantique à zéro émission de CO2. Mais ne soyons pas bégueules, il y a eu d’autres annonces prometteuses.

Toujours en janvier 2023, le journal économique français Les Echos nous rappelait en effet que, malgré les doutes de Boeing et Safran, Airbus prévoit depuis 2020 de mettre en service un avion à hydrogène à horizon 2035. Ah voilà, cette fois, on parle de quelque chose de sérieux. D’autant plus que plusieurs autres géants de l’industrie et de l’aérien sont dans le coup : Air Liquide, VINCI Airports et ArianeGroup. Rien que ça. Toujours trop lent pour vous ? Pas de panique, une entreprise suisse nommée Destinus prévoit de faire voler un avion supersonique capable de rallier Paris à New York en une heure à peine, à horizon 2030 !

Pour devenir réalité, ces belles promesses vont toutefois devoir faire sauter quelques sérieux verrous technologiques du côté de la motorisation. Il existe en effet trois voies principales pour faire voler des avions à l’hydrogène. La première consiste à utiliser une pile à combustible fonctionnant à l’hydrogène pour produire de l’électricité et alimenter des moteurs électriques. “Si on part du principe que la technologie de propulsion électrique est déjà mature, on peut considérer que la principale problématique de la pile à combustible est la sécurité. L’hydrogène étant extrêmement inflammable, il y a en effet un risque de constitution d’atmosphère explosive ou de fuite enflammée. Cette question de la sécurité des systèmes hydrogène est tout à fait gérable moyennant l’installation de dispositifs appropriés dont l’enjeu consiste à altérer le moins possible les performances du système en termes de masse embarquée”, explique Emmanuel Bensadoun, responsable du pôle Expertise/Etudes de France Hydrogène, une association professionnelle regroupant plus de 460 acteurs de la filière.

Il poursuit : “Ensuite, il y a la question du transport car nous sommes capables de transporter de 3 à 5 fois plus d’hydrogène s’il est cryogénisé que s’il reste sous forme gazeuse sous haute pression. Pour cela, il faut le liquéfier en le faisant descendre à une température de 20° Kelvin, soit environ -250° celsius. A ce stade, cette technologie — appliquée à l’embarqué — est limitée à des industries de pointe comme celle des lanceurs spatiaux car les fonctions d’isolation thermique et de distribution de l’hydrogène aux conditions de température, pression et débit requises sont technologiquement avancées, notamment en environnement « avion ». Pour l’utiliser à grande échelle, il faudra donc industrialiser cette technologie, faire baisser son prix, former des ingénieurs et doter les aéroports des équipements nécessaires au maintien d’une chaîne de froid, etc.

Comme nous l’explique encore le spécialiste, la problématique de la cryogénisation de l’hydrogène s’applique également à la seconde technologie envisageable, celle des propulseurs brûlant de l’hydrogène plutôt que du kérosène. Mais cela ne serait pas la seule restant à résoudre. “La modification des aéronefs serait moins conséquente mais il y aurait d'importants enjeux techniques pour modifier les moteurs, notamment au niveau de l’injection de l’hydrogène, pour qu’il soit alimenté suivant une régulation de débit fiable et précise. Le développement de cette technologie est investigué par les motoristes, c’est leur savoir-faire qui fera la différence”, prévoit Emmanuel Bensadoun.

Enfin, il y a la troisième piste qui, comme nous l’évoquions la semaine dernière, consiste à fabriquer du kérosène de synthèse grâce à de l’hydrogène vert. Ne vous y trompez pas, il s’agit bien de kérosène. Il brûle et dégage des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ce carburant pourrait toutefois être conçu en captant du CO2 émis par une autre industrie polluante, comme la fabrication de ciment ou autre. La solution n’est pas parfaite mais elle est à ce jour particulièrement centrale dans tous les scénarios considérant une décarbonation de l’aviation par l’usage de l’hydrogène. Pourquoi cela ? Tout simplement parce que les deux technologies en développement sont, de l’accord de tous les spécialistes, incompatibles avec le long-courrier. Bref, la partie de l’aviation qui en a le plus besoin…

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