Il y a quelques années encore, la presse internationale célébrait la “génération Erasmus”. Éduquée, polyglotte et ouverte d’esprit, cette jeunesse européenne voyageait aux quatre coins de l’Europe comme on se rend dans le Vercors pour embrasser sa grand-mère et tissait des liens fraternels et amoureux entre les ennemis d’hier. Mais ces étudiants internationaux, souvent privilégiés, n’auraient pourtant pas pu réussir cet exploit culturel sans un outil à la hauteur de leur dévorante envie d’ailleurs : Ryanair.
Fondée en 1984 et basée à Swords, en Irlande, cette compagnie aérienne a bouleversé le marché du transport en proposant des prix ultra bas, permettant à tout un chacun de voyager à travers l’Europe et sa proche périphérie. Souvent imitée mais jamais égalée, l’entreprise irlandaise s’est progressivement hissée au premier rang des compagnies aériennes transportant le plus de passagers à travers le Vieux Continent et a rejoint le Top 10 des dix plus gros pollueurs européens.
Le modèle économique de Ryanair repose sur deux axes principaux : un important volume de passagers transportés dans des conditions toujours plus spartiates et un important soutien financier des villes dans lesquelles la compagnie installe ses aéroports. Pour optimiser la première, la firme ne s’interdit aucune idée. En 2009, elle fait même scandale en envisageant de faire voyager les gens debout, pour économiser de la place, réduire encore ses prix et diviser le bilan carbone d’un avion par un plus grand nombre d’êtres humains. Pire encore, Ryanair a un jour émis l’idée de surtaxer les personnes en situation de surpoids. Tollé général, évidemment.
Aussi toxique puisse-t-il paraître, le modèle de Ryanair a eu un impact social évident sur l’industrie du tourisme en Europe : il a fait passer le voyage international d’un produit de luxe à un plaisir accessible à tous, même aux plus modestes. Mais au passage, il a transformé celui-ci en une simple commodité, une case à cocher sur la liste des choses à faire entre le moment où vous partez de chez vous et celui où vous arrivez sur votre lieu de vacances. Un désenchantement total.
L’autre problème qui se cache derrière cette optimisation du nombre de passagers par avion est qu’elle ne réduit pas concrètement le bilan carbone d’un avion. Elle ne fait que le diviser par un plus grand nombre, sans que la quantité totale de carbone balancé dans l’air ne soit entamée d’un pouce. Or, il n’est plus possible aujourd’hui de ne pas se préoccuper de l’impact écologique de nos modes de consommation. C’est à ce point omniprésent dans notre esprit que nous gérons notre bilan carbone comme une sorte d’équilibre karmique, faisant de petits compromis pour vivre en accord avec nos envies et nos convictions. Achats de pâtes en vrac contre commandes Amazon. Vélo pour aller bosser contre vacances à l’autre bout du monde.
Il existe cependant une voie du milieu : une façon de se déplacer qui n’est ni trop élitiste ni massifiée au point de supprimer le plaisir. Pour la suivre, il est nécessaire de réaccorder du temps au voyage en lui-même. De considérer qu’il est une expérience à part entière et que, comme le dit un adage un peu galvaudé, il fait partie de la destination.
Cela exige de regarder les choses autrement, de faire un pas de côté et d’accepter de ralentir. Nous devons réapprendre à apprécier la rareté d’un beau voyage plutôt qu’une accumulation de week-ends standardisés, le plaisir lent de la déambulation dans un train de nuit et celui de s’endormir en voyant défiler le paysage.