Tout, tout, tout, vous saurez tout sur comment acheter un train ! Après vous avoir expliqué (voir S01E02) comment un nouvel opérateur ferroviaire pourrait ou non envisager d’acheter du matériel d’occasion, zoom sur le matériel neuf, ses avantages et ses inconvénients.
L’option du matériel neuf a notamment été le choix du nouvel opérateur transalpin Italo. En janvier 2008, deux ans après sa création, Italo passa rien de moins qu’une commande de 25 rames à Alstom. A première vue, cette solution présente l’avantage de la facilité d’accès au matériel (contrairement à la rareté du matériel d’occasion disponible, les constructeurs ne manquent pas en Europe) et de la flexibilité de l’aménagement intérieur (il peut paraître plus simple de partir de zéro que de partir d’une base existante, souvent très éloignée des ambitions de l’opérateur). Et pourtant, comme pour le matériel d’occasion, rien n’est aussi simple qu’il y paraît.
L’industrie de la construction de matériel roulant accueillant des passagers a historiquement eu pour habitude de développer un nouveau produit sur la base d’un cahier des charges d’un client déterminé et de le financer sur la base de la commande de ce dernier. Une fois développé pour le compte d’un client donné, ce produit spécifique peut ensuite être revendu par le constructeur à d’autres opérateurs comme un produit dit sur l’étagère. Toute modification structurante qui serait demandée par un nouvel opérateur sur ce produit sur l’étagère peut avoir un impact fort sur le coût et les délais de production et d’homologations.
La notion de produit sur l’étagère rend la différenciation entre les opérateurs très compliquée au-delà des couleurs et des matières des espaces intérieurs. Bien que cela ne soit pas si important sur les trains de jour, qui sont finalement aménagés de manière similaire avec des sièges de première et de seconde classe, cela peut être plus problématique pour les trains de nuit. La notion de chambre rend en effet les possibilités d’aménagement et les innovations infinies - chambres privatives, mix entre chambres et sièges inclinés, avec ou sans toilettes et douche privatives – et les demandes diffèrent dès lors d’un opérateur à un autre, en fonction de sa stratégie, de la clientèle visée et du niveau de service attendu.
Toute demande spécifique non inclue dans le produit sur l’étagère du constructeur ou toute demande de réaménagement des espaces intérieurs va ensuite engendrer des coûts d’ingénierie, de recherche et de développement pour le constructeur, qui seront mécaniquement intégrés au prix de production global, avec un impact pour l’opérateur. Et même si on vous épargnera le process complexe d’homologation de matériel roulant dans le ferroviaire, sachez qu’un train doit obtenir une autorisation afin de circuler sur le réseau, délivrée par les autorités de sécurité nationales ou européennes. Cette autorisation est basée sur un produit bien spécifique et toute demande de modifications sur ce dernier peut faire revenir au point de départ du process en question.
Vous l’aurez donc compris, tout nouvel opérateur portant son choix sur du matériel neuf devra donc arbitrer entre les produits sur l’étagère des différents constructeurs, des modifications sur ce produit existant ou la création d’un tout nouveau produit. Un des éléments clés lors de cet arbitrage sera le volume de la commande. Plus la commande sera grande et plus l’opérateur pourra aller vers du spécifique pour amortir les coûts additionnels de R&D et d’homologations ; plus la commande sera moindre, plus l’opérateur devra se tourner vers des produits sur l’étagère.
Dans le cas d’un nouvel opérateur dans le train de nuit, l’avantage de la flexibilité pour le matériel neuf par rapport au matériel d’occasion n’est finalement plus si évident, tout comme celui de la facilité d’accès au matériel puisqu’il est fort probable que très peu de constructeurs aient un produit sur l’étagère qui convienne parfaitement à ses attentes.
Vous voici plus au clair, on l’espère, sur les enjeux dans les grandes lignes qui président à l’acquisition de trains. Le secteur ferroviaire est un secteur complexe et il nous tient à cœur à travers cette série de vous en dévoiler les facettes les plus méconnues. Au prochain épisode, on vous expliquera comment financer tout cela !
NB : Expert.e.s du ferroviaire, ces explications sont données dans les grandes lignes et bien d’autres éléments sont évidemment susceptibles d’entrer en ligne de compte.