Devant vous s’étire une immense étendue désertique. Seules quelques petites touffes herbeuses et de lointaines masses rocheuses brisent la monotonie du paysage. Soudain, vous apercevez des rails alors qu’il n’apparaissait pas sur votre carte. Bien que visiblement anciens, ils ne semblent pas avoir été oubliés par les hommes qui les ont construits. Au contraire, ils sont parfaitement entretenus, comme s’ils assuraient une mission fondamentale pour ceux qui s’en servent. Et pour cause, nous sommes en plein désert de Gobi, dans la région autonome chinoise de la Mongolie-Intérieure, et ce chemin de fer mène à l’une des bases les plus importantes du programme spatial chinois.
Construits dans les années 1950 par des ouvriers chinois, ces rails s’étendent sur 278 kilomètres à travers ce désert aux conditions météorologiques très particulières. Chaque jour, ils subissent les attaques du climat hostile de Gobi. Les équipes de spécialistes des trente-six stations de maintenance réparties le long de leur itinéraire les inspectent donc minutieusement. Vêtus de leurs uniformes bleus, les militaires arpentent quotidiennement cinq kilomètres de la voie avec leur matériel posé sur un petit chariot. Ils vérifient qu’elle ne soit pas couverte de sable ou de quoi que ce soit d’autre. Si c’est le cas, ils la dégagent eux-mêmes avec les pelles qu’ils transportent. Grâce à leurs instruments, ils s’assurent également que rien n’ait fait dévier l’axe des rails. Enfin, ils donnent l’alerte si un tronçon s’effondre comme ce fut le cas par le passé, lorsque des pluies diluviennes avaient détrempé le ballast.
Si ce chemin de fer est à ce point surveillé par les autorités chinoises, c’est parce qu’il ne mène pas n’importe où. Il conduit à la base de lancement chinoise de Jiuquan, aussi appelée Base 20 ou, pour les amateurs de protocole, la “20e base de test et d'entraînement de l'armée populaire de libération”. Créée en 1958, elle sert d’abord à tester des missiles balistiques à moyenne et longue portée avant d’être choisie pour devenir un site de lancement spatial. D’après les informations communiquées par le gouvernement chinois à différents médias, elle compte aujourd’hui trois centres spatiaux différents : Taiyuan ouvert en 1968, Xichang ouvert en 1994 et Wenchang ouvert en 2016. L’un d’eux sert à lancer les missions habitées chinoises, celles grâce auxquelles les taïkonautes — les fameux astronautes de l’Empire du Milieu — sont envoyés dans l’espace à bord des vaisseaux Shenzhou. C’est d’ailleurs de là qu’est partie la mission Shenzhou 15 dans laquelle se trouvait le premier équipage à visiter la station spatiale chinoise Tiangong, le Palais Céleste, depuis qu’elle est terminée. Les autres servent pour les satellites de reconnaissance et d’observation ainsi que pour propulser de petits lanceurs.
Plus étonnant encore, cette région de Chine accueille la base spatiale éducative Mars Base 1, située à environ 20 kilomètres de la zone urbaine de Jinchang. Ouverte le 17 avril 2019, celle-ci s’étend sur soixante-sept kilomètres carrés et aurait coûté 2,5 milliards de yuans, soit plus de 343 millions d’euros, au gouvernement chinois. Abritant notamment des cellules de vie, une serre végétale et une salle de contrôle, la base sert à sensibiliser ceux qui la visitent aux difficultés de la vie sur la planète rouge. C’est d’ailleurs pour cela que des collégiens ont été invités à la découvrir dès son ouverture, avant que les touristes ne puissent y accéder. Dans un futur relativement proche, elle devrait devenir une véritable zone d'entraînement pour les taïkonautes.
Cette concentration d’activités spatiales en Mongolie-Intérieure en dit long sur l'importance de cet étonnant petit chemin de fer perdu dans le désert et attentivement surveillé. Car s’il est évidemment impossible de savoir précisément ce que contiennent les trains qui y circulent, on peut facilement imaginer des wagons remplis de pièces de satellites ou de fusées. D’autres contiennent peut-être des rations de nourriture prévues pour être consommées dans l’espace, des bouts d’habitations martiennes, des combinaisons d’astronautes ou encore du matériel nécessaire à des expériences scientifiques qui sont menées parmi les étoiles. Des fusées entières sont peut-être même transportées sur ces rails, accrochées derrière des wagons de passagers remplis de taïkonautes.
Ce n’est pas un secret, le gouvernement chinois investit depuis des années des sommes colossales dans le développement de son programme spatial. Afin d’affirmer la dimension multilatérale de son immense puissance, il entend en effet rattraper son retard sur ses concurrents, à commencer par les Etats-Unis. Au point que, contrairement à ce qu’on pourrait penser, le chemin de fer le plus important du pays n’est ni le train à Grande Vitesse pour Lhassa ni ceux qui relient les grandes métropoles chinoises entre elles. Mais une petite ligne volontairement laissée en dehors de tous les registres officiels.