Après deux épisodes consacrés à l’ouverture de l’infrastructure du rail britannique et l’ouverture du fret en France, il est temps de nous pencher sur celle du transport de passagers à l’international et dans l’hexagone. Mais de la même manière que celle-ci est divisée en deux sous-parties, nous la traiterons en deux fois. A commencer, aujourd’hui, par un focus sur le modèle dit de l’Open Access, aussi appelé Service Librement Organisé.
Le projet de l’ouverture à la concurrence du transport de passagers en Europe ne date pas d’hier. Les premières discussions entre les Etats-membres de l’Union européenne remontent en fait aux années 1970. Bien loin de s’interroger sur les questions écologiques, les gouvernements du Vieux continent s’interrogent à l’époque sur la meilleure façon de ne pas laisser le ferroviaire perdre trop de terrain face au développement du transport aérien. Une politique européenne des transports est alors mise en place avec comme but avoué de créer un grand marché ouvert du rail.
Il faudra pourtant 37 ans pour que les choses se mettent véritablement en place. Ce n’est pas un secret, l’UE n’est pas exactement une institution rapide lorsqu’il s’agit de légiférer, en raison des problématiques particulières de chacun des 27 membres. C’est donc en 2007 que le troisième paquet ferroviaire est adopté, les deux premiers portant sur la libéralisation du fret dont nous parlions ici la semaine dernière. Et comme pour ce dernier, ce sont d’abord les lignes internationales qui sont concernées. A partir de 2010, celles-ci s’ouvrent donc à la concurrence à travers un modèle dit Open Access.
Comme son nom le laisse deviner, celui-ci prévoit que n’importe quelle entreprise ferroviaire peut faire une demande auprès des opérateurs historiques pour se voir attribuer des sillons horaires. A condition, bien sûr, de s’être vu attribuer une licence ferroviaire, que son matériel roulant soit homologué par les instances compétentes et que son personnel de conduite et d’accompagnement soit certifié et, plus globalement, qu’elle respecte toutes les mesures de sécurité nécessaire à une telle exploitation. Le tout sans la moindre subvention publique.
Un peu partout en Europe, des entrepreneurs du secteur, comme NTV, LEO Express et Connex, se lancent donc à l’assaut du rail international, suivis par les opérateurs historiques de certains pays. Sans parler de Thello dont nous avons raconté le rapide passage sur le rail français dans notre série sur les trains de nuit aujourd’hui disparus. A noter enfin que l’Eurostar était déjà exploité entre la France, le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas depuis 1994.
L’ultime paquet ferroviaire européen est adopté en 2016, après trois longues années de négociations entre les Etats membres. Et pour cause, celui-ci touche à un sujet sensible dans beaucoup de pays : le transport national de passagers. Comprendre que des sociétés privées pourront faire concurrence à la SNCF sur le territoire français sur lequel elle régnait seule depuis le 1er janvier 1938. C’est dire s’il s’agit d’un bouleversement profond pour l’organisation du rail français.
Depuis décembre 2019, l’Etat et les régions peuvent donc lancer des appels d’offres pour faire exploiter leurs lignes ferroviaires TER (Transport Express Régional) et Intercités par des opérateurs privés ou publics, mais nous en parlerons la semaine prochaine. Notre sujet du jour porte sur l’ouverture de la concurrence pour les lignes dite à Grande Vitesse. Depuis décembre 2020, la SNCF a en effet aussi perdu son monopole sur celles-ci, y compris sur sa ligne la plus rentable : l’inénarrable Paris-Lyon, considéré comme l’une des lignes les plus empruntées d’Europe.
Pour les lignes à Grande Vitesse, c’est aussi un modèle dit Open Access qui a été choisi. Et c’est Trenitalia, l’opérateur historique italien, qui a ouvert le bal en 2021 avec deux allers-retours quotidiens entre Paris et Milan en passant par Lyon . Une concurrence frontale avec la SNCF qui s’est encore accélérée le 5 avril 2022 avec la mise en place d’une rotation directe supplémentaire entre la ville lumière et la capitale des Gaules. Le tout avec l’objectif d’en opérer cinq par jour à horizon juin 2022. Une stratégie qui révèle bien que, malgré l’arrêt des lignes de Thello, la firme transalpine a probablement toujours eu un objectif bien plus important dans sa conquête du marché français.
Mais que l’on ne s’y trompe pas, cette arrivée n’est pas nécessairement mal perçue par la SNCF. A en croire la direction de SNCF Réseau, chargée de la gestion et de l’entretien des infrastructures ferroviaires françaises, il s’agit même d’un véritable avantage pour les utilisateurs. Car qui dit plus de trains, dit plus de possibilités et de service pour les voyageurs, et plus de dynamisme pour les villes traversées par les lignes. Enfin, c’est surtout un bon moyen de booster la part du rail dans la mobilité des Français, ce qui est une excellente nouvelle pour la planète.