Après trois saisons dans lesquelles nous avons exploré les coulisses d’une entreprise comme Midnight Trains, nous vous proposons une nouvelle série de quatre épisodes pour vous présenter les nouveaux acteurs du secteur ferroviaire européen. Comme nous, mais avec des projets bien différents de nos hôtels sur rails, ils se sont lancés à la conquête des chemins de fer depuis leur ouverture à la concurrence. Pour ce premier épisode, on se penche donc sur l’histoire et le modèle de Railcoop, la coopérative qui veut relier Bordeaux et Lyon.
L’ouverture à la concurrence du marché français du transport ferroviaire a fait germer de nombreuses idées, et pas seulement dans les esprits de grands investisseurs internationaux. L’une des plus étonnantes d’entre elles s’appelle Railcoop. Première entreprise ferroviaire coopérative d’Europe, cette belle initiative réunit “citoyens, cheminots, entreprises et collectivités autour d’une même mission : développer une offre de transport ferroviaire innovante et adaptée aux besoins de tous les territoires”. Un programme aussi ambitieux qu’original.
L’idée de départ est simple. De nombreuses lignes de train sont abandonnées pour des raisons économiques ou logistiques alors qu’elles sont utiles aux habitants. Il faut donc exploiter l’ouverture du rail pour les rétablir en unissant les acteurs des territoires concernés, lésés au profit des lignes les plus rentables qui sont aussi souvent celles qui passent par Paris. Pour y parvenir, un groupe hétéroclite de passionnés s’est fondé en association loi 1901 en 2019, avant de devenir une coopérative quelques mois plus tard, avec trente-deux sociétaires initiaux.
Premier objectif : rétablir la ligne Bordeaux-Lyon, dont la dernière exploitation a été abandonnée en 2012. Et pour cause, comment imaginer que ces deux villes françaises de premier ordre ne soient pas directement reliées par un train ? Comment accepter que les habitants de la capitale des Gaules et ceux du grand temple du vin ne puissent se rejoindre sans passer par la toute-puissante ville-lumière ? Pour les membres de Railcoop, c’est tout simplement impossible. Et on les comprend.
Trois ans après sa création, la coopérative affiche un capital de 7 millions d’euros et compte désormais 12.000 sociétaires parmi lesquels des associations, des collectivités locales et des entreprises comme le média Alternatives Economiques ou la chaîne de magasins Biocoop. Depuis 2021, elle est même titulaire d’une licence d’entreprise ferroviaire. Pourtant, l’ouverture de la ligne ne cesse d’être repoussée. D’abord décalée au 11 décembre 2022, l’ouverture du Bordeaux-Lyon via Périgueux, Limoges et Montluçon n’a désormais plus de date officielle.
Malgré la bonne volonté de ses sociétaires et des soutiens de taille, la coopérative se confronte aujourd’hui à trois problèmes majeurs. Le premier, a priori en cours de résolution, est d’ordre logistique. Pour faire rouler des trains, il est nécessaire de se voir attribuer des sillons-horaires de circulation, des “créneaux d'autorisation de circulation alloué à un train sur un parcours précis de l'infrastructure à un instant précis”, par SNCF Réseau. Or, il semblerait que les deux entités aient eu du mal à s’entendre. Ces derniers mois, la direction de Railcoop s’est toutefois voulue rassurante sur le sujet, sans en dire beaucoup plus.
La seconde difficulté à laquelle fait face Railcoop tient à la rénovation des huit rames X72500 qui doivent servir à rallier Bordeaux et Lyon. Rachetées à la SNCF Voyageurs et à la région Auvergne-Rhône-Alpes, elles n’ont toujours pas pu être remises en état à ce jour et ne sont donc pas prêtes à accueillir les passagers souhaitant passer d’ouest en est, et inversement. A noter que la coopérative a d’ores et déjà mis une option sur vingt autres voitures.
Enfin, Railcoop a un problème d’ordre financier. La société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) estime en effet qu’il lui faut 30 millions d’euros pour boucler son financement, une somme que ni les banques ni les investisseurs ne semblent prêts à engager dans le projet pour l’instant. Or, au moins 50% du financement total doit être constitué de fonds propres. Heureusement pour la diversité du rail, les sociétaires ne désarment pas pour autant puisqu'ils ont lancé un nouveau tour de table visant à lever 27 millions d’euros d’ici à la fin du printemps 2022. Ils ont également appelé le gouvernement français à mettre en place des garanties d’Etat pour qu’eux et d’autres puissent accéder au marché du rail.
L’existence d’une initiative comme Railcoop et l’engagement populaire qu’elle suscite témoignent des immenses possibilités que permet l’ouverture du rail. Car, quitte à ce qu’il soit ouvert, autant qu’il le soit vraiment et que des acteurs en tous genres aient leur chance d’y trouver une place malgré les importantes barrières à l’entrée de ce marché exigeant. En ce qui nous concerne, on a donc hâte de voir les trains de la coopérative de Figeac sillonner la France. Et, surtout, que vive le rail libre !