En France comme au Royaume-Uni, le développement du rail s’est aussi bien fait sous le contrôle du secteur privé que du secteur public, en fonction des époques. Des allers-retours qui, selon les époques, ont produit le pire comme le meilleur pour notre moyen de transport préféré. Ce qui est toutefois certain, c’est qu’ils ont été d’importants moteurs de changement. Nous avons donc décidé de nous lancer dans une série d’articles consacrés aux grands moments de la privation des chemins de fer. Dans ce premier épisode, nous nous penchons sur le découpage en règle de British Rail, créée grâce à la nationalisation de quatre grandes entreprises ferroviaires privées.
La privatisation d’une institution comme British Rail, alors opérateur du système ferroviaire britannique, ne se fait pas en deux coups de cuillère à pot, notamment du côté de l’opinion publique. Lorsque le gouvernement conservateur du Premier ministre John Major, qui vient de succéder à Margaret Thatcher, décide de le faire, il fait face à une opposition majeure. L’opinion publique ne croit pas aux bienfaits du projet, les experts du ferroviaire rejettent l’idée et le Parti Travailliste s’engage à faire repasser le rail dans le giron de l’Etat dès qu’il reviendra au pouvoir. Pourtant, la décision est actée par le vote d’un texte appelé le Railways Act le 5 novembre 1993. British Rail sera bien dépecé avant que ses morceaux ne soient vendus à de nombreux opérateurs privés.
Dans les premiers temps, l’entreprise est divisée en petites unités de travail sensiblement identiques à celles qui existaient au sein de la structure publique. Côté transport de voyageurs, celles-ci sont peu à peu découpées en 26 concessions régionales puis mises aux enchères. Les entreprises qui les rachètent - parmi lesquelles National Express Group, Virgin Trains, Go-Ahead, Arriva ou encore First Group - devront se charger de les exploiter pour des durées allant de cinq à quinze ans. Au total, elles se répartissent donc un marché juteux d’un milliard de passagers annuels, soit l’équivalent de ce que gère la SNCF.
L’infrastructure des chemins de fer est quant à elle confiée à la société privée Railtrack en 1996. Créée pour l’occasion et introduite en bourse la même année, elle va rapidement subir les foudres du gouvernement et du peuple britannique. Et pour cause, malgré le fait qu’elle ait confié la plupart de ses responsabilités à d’autres entreprises, on lui reproche de n’avoir apporté aucune amélioration au réseau ferré du Royaume-Uni et de ne pas être viable économiquement. Déjà dans le viseur du gouvernement depuis un moment, ce dernier décide d’en prendre le contrôle en 2002. En cause, son incapacité à survivre sans subvention publique et les conséquences de la catastrophe ferroviaire de Hatfield. En plus d’avoir fait 4 morts et 70 blessés, cet accident bien connu des Britanniques a provoqué une remise en état de l’ensemble du rail estimée à 580 millions de livres, soit environ 683 millions d’euros.
Pour mener cette opération à bien, une société du nom de Network Rail est fondée dans l’unique but de racheter Railtrack pour 500 millions de livres. Bien qu’elle soit privée, cette nouvelle entreprise est déclarée “privée à but non lucratif” et n’a ni actionnaire ni dividende à verser à ces derniers. Un tour de passe-passe sémantique étonnant qui permet aux dirigeants britanniques de ne pas effrayer la population en parlant de nationalisation, un concept encore considéré comme un gros mot par bien des sujets de la reine Elizabeth.
Il faudra toutefois attendre presque 20 ans pour que le Royaume-Uni reprenne aussi le pouvoir sur le transport de passagers. Le 20 mai 2021, il annonce en effet la création de Great British Railway, une entreprise publique ayant pour but de superviser l’ensemble des opérateurs privés se répartissant le marché. Dès 2023, elle fixera les prix, les horaires et les liaisons tandis que les entreprises devront faire rouler les trains à l’heure. Un changement de taille que le ministre des Transports Grant Shapps a qualifié de “plus grand changement ferroviaire depuis 25 ans”. Ce qu’il n’a pas dit par contre, c’est le mot nationalisation. On ne se refait pas.