Liste de coupes de cheveux autorisées, victoire imaginaire en Coupe du Monde et invention supposée du hamburger, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un nous a habitués à une communication franchement gaguesque. Cela ne doit toutefois pas nous faire oublier que, depuis la mort de son père en 2011, cet homme dirige une dictature ultra rigide qui s’illustre par les famines récurrentes qui touchent son peuple et une obstination à développer un armement nucléaire. Presque totalement isolée du reste du monde, la Corée du Nord est surtout séparée du Sud depuis 1953 par la Demilitarized Zone (DMZ). Un infranchissable no man’s land de 248 kilomètres de long par 4 kilomètres de large qui a tout de même vu passer quelques trains témoignant des efforts de paix des deux Corées.
La première tentative de rétablir une connexion ferroviaire entre ces sœurs ennemies a lieu le jeudi 17 mai 2007. Ce jour-là, la gare de Munsan, en Corée du Sud, est en fête. Des bannières bleues et blanches, symbolisant la réunification, sont brandies par la foule. Des pétards explosent pour célébrer l’évènement et une grande banderole clame haut et fort : “Le cheval de fer a repris son galop.” Le message est clair, la plupart des Sud-Coréens sont ravis de cette petite avancée dans le processus de réunification de ces deux territoires.
Ce sont donc cinq wagons qui partent de ladite gare à destination du Nord et franchissent la ligne de démarcation entre les deux territoires à 12h17, heure locale. Un second train parti du Nord traverse cette limite, à la fois intangible et impossible à ne pas voir, quelques minutes plus tard. Dans les deux tortillards se trouvent 100 Sud-Coréens et 50 Nord-Coréens. L’histoire ne dit pas s’il y a eu autant de festivités au Nord qu’au Sud pour le départ du train mais, si cela a été le cas, on peut imaginer qu’elles ont été autrement plus encadrées et militarisées.
La circulation de ce train ne s’est toutefois pas décidée du jour au lendemain. Dans les tractations entre Séoul et Pyongyang, les capitales respectives du Sud et du Nord, tout prend du temps puisque le rétablissement d’une liaison ferroviaire a en effet été validé lors d’un sommet historique qui s’est tenu en 2000. Ces deux trains marquent à l’époque une avancée de taille dans le processus de paix. Pour Lee Jae-joung, le ministre sud-coréen de l’unification, il s’agit d’un nouveau chapitre de l’histoire du pays qui “vient de s'ouvrir vers l'établissement de la paix”. Et d’ajouter : "Cela va représenter un tournant dans les efforts visant à surmonter l'héritage de la Guerre froide, abattre le mur de la division et ouvrir une nouvelle ère de paix et de réunification.” Quant à son équivalent du Nord, Kwon Ho-ung, il parle d’un “train de la réunification” qui “roule sur la voie de la paix et de la solidarité”. De quoi avoir de l’espoir donc.
Pourtant, ces trains ne sont qu’un essai puisque la Corée de Kim Jong-il a refusé qu’une ligne régulière ne soit mise en place. D’ailleurs, l’initiative ne tient pas bien longtemps. Comme l’explique le journal français Libération, seuls quelques trains de fret partent du Sud pour apporter du matériel nécessaire pour le Parc industriel intercoréen de Kaesong, une zone de coopération de 66 kilomètres carrés située au Nord, à quelques kilomètres de la DMZ. Très vite, le bruit du rail s’arrête à nouveau, métaphoriquement étouffé par l’obstination de Pyongyang à continuer le développement de son programme nucléaire militaire.
Ce n’est qu’en 2018, après plus de 10 ans de rupture ferroviaire, qu’un nouveau train relie les deux parties de la péninsule. Alors qu’une détente qualifiée d’exceptionnelle est en cours, un attelage de six wagons comprenant un wagon-lit, un wagon de bureau et un wagon rempli d’eau pour la douche et la lessive, quitte la gare de Dorasan, au Sud, pour celle de Panmun, au Nord. Au total 28 ingénieurs et officiels de la partie méridionale du pays ont pris place à bord avec pour objectif de travailler à la reprise d’une liaison intercoréenne, en commençant par moderniser les chemins de fer vétustes de Corée du Nord.
Pour cela, cette équipe est chargée d’inspecter deux lignes nord-coréennes : celle construite par les Japonais entre la ville de Kaesong et celle de Shinuiju, près de la frontière chinoise, et celle allant de la région du Mont Kumgang, à l’est de la zone démilitarisée à la frontière russe. Le niveau de sécurité de l’expédition étant évidemment très élevé, le programme de la délégation sud-coréenne est millimétré. Une fois arrivé à Panmun, le train de la délégation doit abandonner sa locomotive, destinée à retourner dans le Sud, pour être raccroché à un train nord-coréen. Un voyage de 18 jours est ensuite prévu pour que les ingénieurs puissent inspecter les lignes. Mais attention, comme le rappelle la BBC, ils sont autorisés à regarder, pas à toucher. Pratique.
Les autorités nord-coréennes ne sont d’ailleurs pas les seules à être vigilantes sur le sujet. Chaque membre de la délégation de Séoul a ainsi dû obtenir une autorisation spéciale des Nations Unies pour contourner les sanctions internationales à l’encontre du territoire contrôlé par Kim Jong-un. Pour les autorités sud-coréennes, le rétablissement d’une liaison ferroviaire régulière représente le seul espoir de désenclavement terrestre de la Corée du Sud et d’importants débouchés pour ses exportations. Les Etats-Unis se montrent extrêmement prudents et suspicieux quant aux supposées promesses du maître de Pyongyang tant ils craignent les dérives sécuritaires dans la région. Et comment ne pas les comprendre quand on sait que l’armée de Kim Jong-un multiplie les tirs d’essais dont ce qu’elle appelle des simulations nucléaires tactiques. Au mois de septembre 2021, elle avait même tiré deux missiles balistiques depuis un… train. Ce qui n’est pas exactement le bon chemin pour rétablir un véritable rail entre les deux Corées car, comme le Tren Maya ou le Trans-Amazonian, un tel train serait plus que politique.