Adrien Aumont — La semaine dernière, nous vous avons laissés en pleine constitution du board stratégique de Midnight Trains, au moment où nous allions passer un coup de fil à Odile Fagot. Et comme je le disais précédemment, ce fut déterminant.
Pour commencer, cet appel a été bien plus long que celui à Guillaume Pepy, l’ancien patron de la SNCF. Mais surtout, il a constitué la première confrontation de notre projet à un véritable profil ferroviaire, à un poids lourd du rail français avec une expertise profonde. Ce n’est pas rien. Il faut pitcher ton idée et convaincre une inconnue que le train de nuit va faire son grand retour, et qu’il va le faire avec ton produit. Et puis, il faut lui dire que tu as toi-même des lacunes sur le secteur et que c’est pour ça que tu l’appelles, elle qui connaît tout de la maison SNCF et du marché. Il faut croire que ça marche puisqu’elle accepte. Au profil de Cyril Aouizerate, très centré sur l’hospitalité, s’ajoute donc celui d’Odile Fagot, ultra focalisé sur le ferroviaire.
La prochaine étape consiste pour nous à trouver un voyagiste et notre idée se porte tout de suite sur Jean-François Rial. PDG de Voyageurs du Monde, il est celui qui a fait de cette entreprise ce qu’elle est aujourd’hui, il a donc forcément quelque chose à nous apporter. Mais sa réponse à mon mail n’est pas celle que j’attendais. Dans les grandes lignes, il a d’autres chats à fouetter. Pourtant, il prend le temps de me donner le nom d’un architecte, celui du dirigeant d’un tour-opérateur allemand qui pourrait nous aider et quelques autres idées qui vont faire avancer notre réflexion. D’ailleurs, alors que nous ne nous sommes jamais rencontrés ou téléphoné, il va continuer à nous aider par échange de mails. Tout au long de l’aventure Midnight Trains, il nous donne des os à ronger, une personne brillante à rencontrer ou un point-clé à méditer. J’ignore pourquoi il le fait et s’il le fait consciemment mais il fait partie de ceux qui nous nourrissent à distance.
Notre prochain board member arrive de manière improbable, comme cela se fait parfois dans la vie. Au cours d’une soirée, je parle du projet à un ami d’ami et nous en arrivons à parler des questions de sûreté qu’implique de faire rouler des trains de nuit. Il finit par me dire que sa sœur, ancienne commissaire de police, a monté une entreprise privée avec son ancien supérieur. Un déjeuner s’organise et nous réalisons ensemble qu’ils ne peuvent pas grand-chose pour nous. Mais, à leur tour, ils nous donnent un nom. Celui de l’ancien secrétaire général de la SNCF et ancien patron de sa sûreté. Nouveau déjeuner, nouvelle rencontre intéressante et nouveau nom. Franck Gervais. Ancien CEO Europe du groupe Accor, ancien directeur général de Voyages SNCF et ancien directeur général de Thalys, son profil est donc celui d’un ponte parmi les pontes, dans le domaine de l’hospitalité comme dans celui du ferroviaire. Une double casquette qui en fait un atout précieux puisqu’il accepte de rejoindre le board de Midnight Trains.
Pour la quatrième place de ce board, nous avons approché un autre gros profil passé par la SNCF. Seul problème, il est encore patron d’une filiale de l’entreprise. Le service juridique de l’opérateur historique bloque toute possibilité de collaboration. Il nous faut donc nous tourner vers quelqu’un d’autre et le nom de Thierry Roussel nous vient à l’esprit. C’est quelqu’un que j’ai rencontré dans un autre projet nommé 50 partners impact dans lequel nous accompagnons des startups à impact qui se lancent. J’aime son engagement sincère, il n’est pas de ceux qui font ça du bout des doigts. De plus, il a l’expérience des entreprises qui se lancent sur des marchés longtemps occupés par des monopoles d’Etat : fournisseurs internet, télécoms et, surtout, énergie puisqu’il fait partie des fondateurs de Direct Energie. Comme les autres membres avant lui, il est emballé par le projet et notre collaboration commence.
Romain Payet — Cette fois, ça y est. Notre comité stratégique est au complet. Un profil hôtelier avec Cyril Aouizerate, un profil ferroviaire avec Odile Fagot, une double casquette avec Franck Gervais et un casseur de marchés monopolistiques avec Thierry Roussel. A ce stade, ce board n’a aucune valeur de gouvernance. Et pour cause, l’entreprise qui va porter Midnight Trains n’existe pas encore au plan juridique. Ses membres sont plutôt des super conseillers qui, lorsque la boîte sera lancée, obtiendront des parts de celle-ci.
La finalisation de ce board est une grande avancée pour nous. Sauf que c’est à ce moment-là que le monde entre dans une période que personne n’a oubliée. La pandémie de Covid-19 se déverse sur tous les habitants de la planète et l’activité économique mondiale s’arrête. Nous allons donc lancer une entreprise de transport au moment où plus un seul train ne roule.
Pour nous, c’est paradoxalement une période bénie puisque nous avons tous les deux le temps de nous adonner à ce que nous aimons le plus. En ce qui me concerne, cet arrêt total de l’activité me permet d’avoir beaucoup de temps en chambre, pour creuser, lire des documents économiques et réglementaires. Quant à Adrien, il peut passer autant de coups de fil qu’il le veut et se nourrir de la réflexion et de l’expertise des autres comme il sait si bien le faire. Chacun à notre manière, nous nous acculturons au secteur, à ses pratiques et à ses règles.
Adrien Aumont — Même si ça semble contre-intuitif, monter une entreprise de trains de nuit en plein confinement a été une opportunité incroyable. Pour commencer, nous avons eu la chance de ne pas encore être une entreprise en activité, avec des frais fixes, des salariés au chômage technique et tout ce qui a précipité d’autres boîtes vers la faillite.
Ensuite, nous avons réalisé que la pandémie allait accélérer la prise de conscience écologique, notamment à propos de l’aviation. Enfin, puisqu’aucun train ne roulait ou presque, nous avions la possibilité de joindre tous les experts possibles et imaginables du sujet. Ils n’avaient rien d'autre à faire que de nous répondre, nous écouter et nous conseiller. Même si la plupart d’entre eux — c’est assez culturel dans le ferroviaire — nous disaient la même chose : “C’est impossible les gars”.