Romain Payet — Maintenant que nous avons, virtuellement, des trains, il faut concevoir la façon dont ils seront organisés pour correspondre à la vision de Midnight Trains : des couchages personnels et intimes pour différents types de passagers ainsi qu’un espace social prenant la forme d’un restaurant. C’est là que Yellow Window, l’agence de design industriel que nous avons sélectionnée il y a quelques épisodes, fait son entrée dans la boucle avec le constructeur.
Notre premier travail avec Yellow Window consiste à créer les diagrammes de nos trains, des vues en 2D de l’organisation des différents espaces. Contrairement à ce que nous avions fait précédemment, sur les trains d’occasion espagnols, la mission implique de partir d’une feuille quasi blanche, pas de nous adapter en permanence à une organisation préexistante. Nous commençons donc naturellement par établir un inventaire complet, soit le nombre de chaque type de chambre. Nous planchons durant des semaines, des mois mêmes, pour trouver un équilibre entre les familiales, les solos, les duos, celles pour les couples et celles pour les potes, celles pour les business travelers et celles pour les amoureux en quête d’une expérience extraordinaire. Puis, une entreprise spécialisée avec laquelle nous collaborons fait passer un stress-test à cette proposition pour vérifier que l’inventaire est cohérent et que les revenus qu’il génèrera seront suffisants.
Lorsque c’est fait, nous soumettons nos diagrammes à Luigi, qui en vérifie la faisabilité sur les 26 mètres de long de chaque voiture, et, enfin, au constructeur, qui confronte cela à sa réalité. Sauf qu’évidemment, ce n’est pas si simple. Dans la conception de matériel roulant, les pièges sont nombreux. Et pour cause, les chambres sont loin d’être les seuls éléments à faire rentrer dans un train. Il faut également intégrer des cabines pour le personnel, un bureau pour le chef de train où les gens peuvent venir prendre des renseignements, des espaces pour le câblage et les tableaux électriques, la climatisation, l’armoire du frein à main, les bagages et pas mal d’autres choses.
Or, dans les premières versions, nous avons souvent sous-estimé ou oublié certaines de ces contraintes. Lorsque Luigi ou le constructeur nous font des retours à ce propos, nous devons donc réintégrer une chose, en supprimer une autre, en réduire ou en agrandir une troisième. Toutes ces modifications ont des conséquences puisqu’elles font logiquement évoluer l’inventaire. Une fois que c’est fait, il faut refaire un stress-test qui révèle parfois qu’avec cette nouvelle composition du train, tel type de chambre sera réservé trop vite ou qu’un autre sera trop souvent vide. Il faut donc recommencer, jusqu’à trouver l’équilibre parfait. C’est une entreprise très longue qui, au total, nous prend presque un an, avec un temps fort de trois mois.
Adrien Aumont — Ce que nous apprenons à ce moment-là, c’est que notre principale contrainte est désormais notre promesse : l'intimité, faire que chacun puisse voyager dans sa propre bulle sociale. En effet, nous sommes les premiers à proposer une telle chose, nous sommes aussi les premiers à faire ce travail d’inventaire extrêmement particulier. C’est une tâche extrêmement longue mais ce qui en ressort nous servira pour tous nos futurs trains.
Enfin, il y a la question du wagon-restaurant qui, comme vous le savez, revêt pour nous un rôle fondamental. Puisque nous voulons proposer un véritable hôtel sur rail, il faut que ce soit un véritable lieu de convivialité. Pour cette partie très particulière du train, le constructeur nous suggère de partir d’un modèle existant plutôt que de nous laisser composer notre propre modèle. Ses équipes ont en effet une véritable expertise sur le sujet et ils peuvent en produire plusieurs différents sans avoir à transformer leurs lignes de production. De plus, nos intermédiaires nous font comprendre que si nous choisissons un modèle préexistant sur lequel nous ne faisons que quelques modifications, l’addition ne sera pas excessivement salée.
Or, nous avons tous les deux pu tester la cuisine qui peut être préparée dans un tel wagon-restaurant. Nous savons donc aussi qu’il collera parfaitement aux ambitions qui sont les nôtres. En fait, il va même nous aider à gérer d’autres contraintes puisque, en plus d’un espace de cuisine, un espace restauration, un espace de stockage et un espace de stockage des déchets, il comprend des cabines pour le personnel. Enfin, il nous semble important de préciser que trente personnes assises peuvent déjeuner ou dîner dans cette voiture. Nous prévoyons donc d’en avoir deux par train, avec un système de services et un créneau libre pour que personne ne se retrouve coincé sans manger.