Nicolas Bargelès — Nous sommes le mercredi 28 février 2024 à 16 heures. Adrien, Romain et moi sommes tous les trois installés dans un café du quartier de la Gare de Lyon, dans le XIIe arrondissement de Paris. Dans quelques minutes, nous avons rendez-vous dans les locaux de la SNCF pour discuter de certaines prestations. Mais avant cela, nous avons une visioconférence avec notre banque d’affaires. Elle va nous donner la réponse que nous attendons depuis si longtemps. Celle de la dernière ROSCO encore en course pour financer nos trains, celle de cette ROSCO qui nous suit depuis le début et dont le dirigeant nous a répété à de nombreuses reprises qu’il veut absolument faire le deal. Plus fou encore, que ses enfants lui demandent de le faire. Pour le futur, pour la décarbonation, pour eux.
Malgré ces promesses, nous nous préparons à une négociation difficile. Nous nous attendons à ce que la ROSCO nous demande des garanties supplémentaires, qu’ils ajoutent des conditions ou qu’ils nous demandent de faire un point sur les investisseurs de l’OpCo. Mais lorsque la mauvaise connexion du café nous permet enfin de parler à nos conseillers, la nouvelle tombe avec une brutalité imprévisible. C’est non. La ROSCO n’achètera pas nos trains. C’est pourtant l’excuse utilisée, selon notre banque d’affaires, par son responsable qui est la plus violente. Et pour cause, le projet n’a même pas été présenté à l’actionnaire principal de la société, parce qu’il avait déjà refusé un autre projet de train voyageur précédemment. Qu’il ne voulait donc a priori pas se positionner sur le transport de passagers en open access. Pas d’examen, pas de discussion, pas de débat animé sur la pertinence du projet. Juste la supposition d’un refus qui suffit à balayer notre financement d’un revers de la main. Pour rappel, la direction de la ROSCO nous avait précédemment annoncé qu’elle n’avait même pas besoin de passer par son actionnaire pour valider l’investissement… Nous mettons fin à l’appel dans un drôle d’état mais nous essayons de nous reconcentrer tout de suite pour filer à notre rendez-vous. Tout n’est pas encore terminé.
Adrien Aumont — Le coup est d’autant plus dur que la réponse manque d’élégance. Tout d’abord, le dirigeant de la ROSCO n’a pas pris son téléphone pour nous prévenir. Il a fallu, comme nous l’avons raconté dans une précédente newsletter, lui courir après pendant un mois pour avoir des informations. Tout ça pour n’avoir que des demi réponses jusqu’à ce jour. Et finalement nous pousser sous le train, c’est le cas de le dire, sans nous donner une véritable chance d’être financés. En effet, le projet refusé qui justifie sa décision de ne même pas nous faire passer en comité stratégique, n’a rien à voir avec nous. C’est un autre projet de transport de voyageurs sur un marché déjà quelque peu chargé et demandant des montants très largement supérieurs à ce dont nous avons besoin. En réalité, nous aurions même pu servir de projet test à ce gigantesque investisseur pour se positionner à moindre coût sur le marché du transport de passager. Nous aurions même pu les aider à acquérir de l’expertise sur ce sujet.
Romain Payet — Adrien et Nicolas ne s’en souviennent probablement pas mais cette réponse catastrophique est tombée le jour de la Saint-Romain. C’est un détail bien sûr. Un détail dont je me souviendrai pourtant longtemps. Quoi qu’il en soit, nous avons toujours des investisseurs et un comité stratégique derrière nous. Il nous faut donc nous ressaisir, nous refocaliser et continuer à chercher des solutions pour faire vivre Midnight Trains. Avec l’aide de la banque d’affaires, nous décidons alors de changer de braquet en nous tournant vers une stratégie d’adossement. Soit, pour être plus précis, de contacter d’immenses groupes — de grands voyagistes, des opérateurs ferroviaires, des croisiéristes, des compagnies aériennes et des fonds souverains — pour leur proposer de reprendre le projet à leur compte. De passer sous leur ombrelle d’une manière ou d’une autre, pour étoffer ou compléter leur offre dans le cadre d’une stratégie de diversification. C’est cette stratégie que nous présentons au comité stratégique que nous réunissons un peu en urgence après le refus de la ROSCO. Nos investisseurs historiques le savent autant que nous : il s’agit d’une stratégie quelque peu désespérée mais c’est tout de même un plan qui peut marcher.
Nicolas Bargelès — Nous leur montrons qu’il y a encore un capitaine à la barre du bateau et qu’il sera là quoi qu’il arrive. Que ce soit pour repartir à l’aventure ou pour rentrer au port. Et puis, nos finances nous permettent de rester au-dessus de la ligne de flottaison jusqu’en juillet de 2024. Alors, haut les cœurs !