Aaaaah l’Espagne… Avec sa charcuterie, ses villes à l’ambiance légère, ses trains de nuit abandonnés, les particularités de son rail, les légendes du métro de sa capitale, sa riche histoire ferroviaire, nombreuses sont les raisons de s’y rendre lorsqu’on se passionne pour l’industrie des chemins de fer et/ou pour les voyages. D’ailleurs, il y en a désormais une nouvelle : Iryo. Propriété du groupe ferroviaire italien Trenitalia à 45%, de la compagnie aérienne espagnole Air Nostrum à 31% et du groupe d'infrastructures Globalvia à 24%, cette entreprise est désormais le troisième opérateur à exploiter les lignes à Grande Vitesse du territoire espagnol. Les deux autres étant la Renfe, l’opérateur historique du pays (qui exploite aussi des TGV low-cost Avlo) et Ouigo, qui est une filiale de la SNCF française.
Après avoir effectué un trajet d’inauguration entre Madrid et Valence le 21 novembre 2022, Iryo prévoit seize allers-retours quotidiens entre la capitale espagnole et la ville de Barcelone. A partir du 16 décembre prochain, la compagnie opèrera également huit allers-retours entre Madrid et Valence. Ses opérations s’élargiront encore à partir de 2023 puisqu’elle à pour projet de desservir Séville et Malaga à partir de mars, et Alicante, sur la Costa Blanca, à compter du mois de juin. Soit de quoi profiter de l’été 2023 pour remplir ses trains.
Pour réaliser ces objectifs ambitieux, Iryo n’a pas lésiné sur les moyens. L’entreprise a investi un milliard d'euros pour s'équiper de 20 trains de type Frecciarossa 1000 (aussi appelé ETR 1000 ou Zefiro V300). A en croire le site officiel de Trenitalia, cette belle machine serait capable d’atteindre une vitesse de pointe de 400 kilomètres/heures grâce, notamment, à “seize moteurs distribués sur toutes les voitures” qui lui permettraient “d’exploiter au mieux l’adhérence aux rails”. Mais surtout, ce train se veut particulièrement écologique en étant le premier à obtenir la certification d'impact environnemental (EPD). Ses émissions de CO2 se limitent en effet à 28 microgrammes par passager-kilomètre. De plus, les matériaux ayant servi à sa construction approcheraient les 100% de recyclabilité.
Un investissement massif qui est à la hauteur des objectifs que se fixe la direction d’Iryo. La filiale de Trenitalia prévoit de conquérir 30% de parts de marché sur les liaisons sur lesquelles ses trains circuleront. Pour cela, elle a passé un accord de premier ordre avec Amadeus, le leader mondial de la réservation en ligne, afin de remplir ses tortillards nouvelle génération aussi efficacement que possible. Mais surtout, Iryo cible une clientèle bien particulière : celle des voyageurs d’affaires et des businessmen chez lesquels l’usage du train ne devrait qu’augmenter au cours des années à venir.
Si cette nouvelle société ferroviaire a l’opportunité de se positionner sur les lignes à Grande Vitesse du rail espagnol dix-huit mois après Ouigo, c’est grâce à une politique bien particulière du gouvernement espagnol. En 2019, l’Adif (Administrador de infraestructuras ferroviarias), le gestionnaire du rail national, a lancé un appel d’offre pour l’occupation de son réseau LGV dans le but de faire baisser les prix. Un pari gagnant puisque cette ouverture à la concurrence a fait augmenter l’ensemble du trafic ferroviaire de 13,7% en un an, contre une augmentation de 37% sur les lignes à Grande Vitesse. Selon les observateurs du marché, l’arrivée de la filiale de la SNCF sur le trajet Madrid-Barcelone aurait fait baisser les prix de 49%. Et pour cause, le succès est au rendez-vous pour la branche espagnole de Ouigo puisque l’entreprise revendique 2 millions de passagers depuis son lancement et un taux de remplissage moyen dépassant les 97%. Ce qui, nous en conviendrons volontiers, n’est pas rien.
Si cette situation à trois opérateurs à Grande Vitesse sur un seul marché est parfaitement inédite en Europe, elle met toutefois en lumière plusieurs points d’intérêt. Le premier, nous venons de l’évoquer, c’est la possibilité de rendre le train plus confortable et plus économique grâce à une ouverture raisonnée et contrôlée. Le second, c’est précisément que, malgré les textes européens dont nous avons déjà parlé ici, l’ouverture des marchés ferroviaires du Vieux Continent est encore bien loin d’être optimale. Enfin, et c’est peut-être le plus important, la situation du marché ibérique nous rappelle que ce sont essentiellement les filiales des opérateurs historiques qui profitent de cette concurrence ouverte à tous. Trenitalia et la SNCF en tête.
Quoi qu’il en soit, l’arrivée d’Iryo est une bonne nouvelle, un signal positif pour l’ensemble du secteur. Car ce qu’elle nous dit en creux, c’est que, sur des marchés aussi dynamiques que ceux des grands pays d’Europe, il y a encore de la place. En faisant bien les choses, et avec le soutien des pouvoirs publics comme c’est le cas en Espagne, le rail peut aussi bien accueillir de nouveaux opérateurs LGV que de nouveaux trains de nuit.Ce qui, bien évidemment, doit aussi s’accompagner d’un renforcement, voire d’une résurrection, du réseau des petites lignes locales. Car un rail qui va bien est un rail complet, multiple et inclusif. C’est en tout cas comme ça qu’on le voit chez Midnight Trains.