Celles et ceux qui lisent régulièrement Midnight Weekly le savent, le Royaume-Uni a souvent été pionnier dans l’histoire du rail, que ce soit à la surface avec des trains traditionnels ou sous terre avec des métros. Pourtant, le pays souffre d’un paradoxe étonnant : il ne compte presque aucune ligne à Grande Vitesse sur son territoire. Et quand il essaie de s’y mettre, c’est souvent dans la douleur. Aujourd’hui, nous avons donc décidé d’explorer un peu cette particularité nationale qui, vue de l’extérieur, ne fait pas grand sens.
Les appellations des lignes à Grande Vitesse britanniques ont un avantage, c’est qu’elles permettent facilement de remonter le fil de leur histoire. La première d’entre elles s’appelle ainsi HS1, pour High Speed 1, soit Grande Vitesse 1. Cette ligne, nombre d’entre nous la connaissent et l’ont prise. Il s’agit en effet de celle qui relie la partie britannique du tunnel sous la Manche à la gare de Saint-Pancras, en plein cœur de la ville de Londres. Longue de 68 miles, soit environ 109 kilomètres, elle permet aux trains qui l'empruntent d’atteindre une vitesse de 185 miles par heure, soit 300 kilomètres par heure. Selon l’ICE (Institution of Civil Engineers), au moment de sa construction, c’est la première grande ligne ferroviaire à voir le jour en Angleterre depuis 100 ans.
L’idée d’une seconde ligne à Grande Vitesse (LGV) commence à faire son bout de chemin dans l’esprit des gouvernants britanniques en 2009. Le projet consiste alors à relier Londres à Birmingham, puis de séparer la ligne en deux branches : l'une allant jusqu’à Manchester, l’autre jusqu’à Leeds. Mais à la vitesse d’un TGV plutôt qu’à celle des immémoriaux trains roulant au diesel qui sillonnent le Nord de l’Angleterre. Une initiative plutôt louable pour laquelle le gouvernement table sur un budget initial de 36 milliards de livres sterling, soit environ 42,8 milliards d’euros. Cependant, très vite, le budget prévisionnel augmente jusqu'à dépasser les 100 milliards de livres sterling. Quant à la date de mise en service, on parle à l'époque du milieu des années 2040, ce qui n’a rien de bien rassurant.
La High Speed 2 (HS2) ne pose toutefois pas que des problèmes financiers. Dès son annonce, des militants écologistes montent au créneau contre ce projet qui, selon eux, menace de destruction au moins 108 zones forestières. Et ils ne lésinent pas sur les moyens de s’y opposer. Certains d’entre eux s'enchaînent sur le passage prévu du train au niveau de Wendover, au Nord-Ouest de la capitale britannique. D’autres créent une sorte de ZAD (zone à défendre) au sein du Colne Valley Regional Park pour protester contre le développement de la HS2. A cela s’ajoute le poids d’une tout autre tribu d’opposants, les populations privilégiées et conservatrices qui habitent les belles campagnes anglaises par lesquelles doit passer la ligne. Ces dernières n’ont pas la moindre envie qu’une ligne à Grande Vitesse vienne altérer la tranquillité de leur paysage verdoyant.
Cette accumulation de problèmes conduit finalement l’ex-Premier ministre britannique Boris Johnson à réduire la taille de ce projet, en supprimant purement et simplement la branche entre Birmingham et Leeds. De quoi stabiliser le budget à 70 milliards de livres sterling, soit plus de 78,2 milliards d’euros, et la date de livraison finale entre 2035 et 2040. La première partie de la ligne, celle qui s’étendra entre Londres et Birmingham, devrait pour sa part être prête en 2029. Si la décision de Boris Johnson, qui n’est plus au pouvoir, peut sembler raisonnable, elle n’a pas été sans conséquence politique. Et pour cause, l’ancien occupant du 10, Downing Street avait promis aux Britanniques un “rééquilibrage” en direction du Nord du pays. A la place, il s’est engagé à accélérer l’électrification du réseau ferré de la région pour mettre fin à l’utilisation du diesel. “C’est peut-être moins glamour, mais c’est plus important”, aurait-il déclaré à propos de cette décision.
Ce qu’il reste du projet de la High Speed 2 devrait profiter au constructeur français Alstom. Ce dernier a obtenu un contrat de 2,34 milliards d’euros pour la construction et la livraison, avec le japonais Hitachi, de 54 trains capables de rouler à 360 kilomètres/heure en vitesse de pointe. Ceux-ci devraient être construits à Derby, Crewe et Newton Aycliffe, où se trouvent des sites d’Alstom et de Hitachi, à partir de 2025, pour être livrés entre 2027 et 2033. Plusieurs milliers de personnes devraient être employées à cela. A noter tout de même que le contrat comprend également l’entretien des rames pour une durée de douze ans.
Quoi qu’il en soit, si cette High Speed 2 permettra certainement de désenclaver les Midlands et le Nord de l’Angleterre, elle ne sera pas suffisante pour placer le Royaume-Uni sur la carte des grands acteurs de la Grande Vitesse. Avec deux lignes et à peine quelques centaines de kilomètres, le Royaume se trouve encore bien loin des réseaux espagnol, japonais et français qui approchent ou dépassent les 3 000 kilomètres. Sans parler du gigantesque réseau dédié à ce genre de vitesse que bâtit la Chine depuis quelques années, qui va jusqu’au Tibet. Mais la Grande Vitesse est-elle la finalité d’un pays comme le Royaume-Uni ? C’est une question qui mérite réflexion.