On ne présente plus New-York. Qu’on l’adore ou qu’on la déteste, qu’on ait eu la chance de s’y rendre ou pas, celle qui fut l’un des terrains de jeu de Cornelius Vanderbilt appartient à notre imaginaire commun. Les séries, les films et les reportages ont imprimé en nous l’image de ses quartiers, de ses habitants, de ses bâtiments et de ses monuments. La Statue de la Liberté dont l’ossature fut créée par Gustave Eiffel, l’Empire State Building, le tristement célèbre Ground Zero, la gare de Grand Central Terminal ou encore le Waldorf-Astoria. Véritable symbole de luxe et de faste, cet immense hôtel situé sur Park Avenue, dans le quartier de Manhattan, cache d’ailleurs un secret ferroviaire dans ses entrailles : une station secrète.
Pourtant, de l’extérieur, rien n’indique la présence d’une telle installation. Les milliers de fenêtres de la façade imposante, presque intimidante, ne révèlent rien de l’intimité des plus de 1 400 chambres. Plus luxueuses les unes que les autres, celles-ci ont accueilli les plus grandes personnalités des Etats-Unis et du monde : Charlie Chaplin, Ava Gardner, Cary Grant, John Wayne, Frank Sinatra, Zsa Zsa Gabor, Marilyn Monroe, Arthur Miller, le Prince Rainier et Grace Kelly, ou encore Nikola Tesla, le Shah d’Iran et le Dalaï Lama. Et ce n’est évidemment qu’une toute petite partie des stars, des leaders et des têtes couronnées ayant séjourné au sein du plus emblématique hôtel de la Grosse Pomme. Si certaines de ces personnalités ont voulu être vues en train d’entrer dans le magnifique hall Art déco du Waldorf-Astoria, d’autres ont parfois eu envie de s’éviter les foules et les paparazzi. C’est pour ça qu’elles ont utilisé la “station secrète” qui se trouve sous l’hôtel.
Tout d’abord, nous allons devoir faire voler en éclat une légende tenace. Contrairement à ce qui se raconte, ni cette station ni la voie qui la relie au réseau ferroviaire new-yorkais n’ont été construites à la demande du président Franklin D. Roosevelt pour cacher sa paralysie. Il s’agit en fait de la plateforme de chargement d’une ancienne centrale électrique appartenant au système d’alimentation de Grand Central Terminal. Une fois la centrale arrêtée, la station aurait subi des transformations pour pouvoir être utilisée par le Waldorf-Astoria, dont la “nouvelle adresse” commençait à être construite juste au-dessus, en 1929. Grâce à cela, l’établissement a pu fournir une prestation rarissime à ses ultra VIPs : la possibilité d’arriver dans un wagon privé (ou privatisé pour l’occasion) juste sous l’hôtel. Un luxe absolu pour tous les amateurs de train et/ou de discrétion. Si cet accès n’est donc pas vraiment secret, un certain mystère plane sur l’endroit exact où il permet d’arriver. Directement dans l’hôtel ? Dans la rue ? C’est ce que nous allons explorer ensemble.
La première utilisation répertoriée de la station est celle qu’en a fait le général John J. Pershing à la fin des années 1930. L’ancien commandant du Corps expéditionnaire américain durant la Première Guerre mondiale s’en est en effet servi après avoir fait le voyage de Tucson, en Arizona, jusqu’à New York pour assister au mariage de son fils. Un autre texte révèle que le monte-charge qui part de la station est assez large pour avoir accueilli, plus tard, la voiture blindée de modèle Pierce-Arrow du président Roosevelt, qui était donc arrivée à bord d’un train particulier. Débouchant sur la 49e rue, la voiture n’aurait eu qu’un demi-tour serré à faire pour se retrouver directement dans le garage de l’hôtel Waldorf-Astoria. Quant à l’entrée même de la station, un article datant de 2001 révèle qu’elle se trouve au bas d’un escalier, dissimulée derrière une porte métallique de la 49e rue où un panneau indiquerait Metro-North Fire Exit.
Si Franklin D. Roosevelt n’a pas fait construire cette station, cela ne l’a donc pas empêché de s’en servir régulièrement, notamment à cause de sa paralysie. D’après le livre académique Grand Central Terminal : railroads, engineering, and architecture in New York City, écrit par Kurt C. Schlichting, ses équipes pouvaient ainsi le transporter de la plateforme souterraine jusqu’à sa chambre sans croiser le public ou les flashs des appareils photos une seule fois. A noter quand même que le nombre de ces utilisations fait débat parmi les universitaires qui semblent y attacher une importance capitale.
Bien évidemment, la station secrète du Waldorf-Astoria n’a pas arrêté d’être utilisée après la mort de Roosevelt en 1945. Depuis, elle a servi à de nombreux événements aussi étonnants que créatifs. Une nouvelle locomotive diesel-électrique profilée de 6 000 chevaux y a ainsi été exposée en 1946. L’année suivante, des journalistes et des cadres de la mode y ont déjeuné dans un wagon suite à un défilé de mode, présentant des vêtements de plage, ayant eu lieu dans Grand Central Terminal. En 1951, ce serait le général MacArthur qui, de retour de Corée, l’aurait utilisée en revenant dans un train particulier d’un discours devant la législature du Massachusetts. Le personnel du Waldorf-Astoria aurait même déroulé un tapis rouge sur la plateforme pour accueillir le militaire en uniforme et son épouse.
Enfin, la station aurait servi à des tournages de films ainsi qu’à une grande fête underground organisée par ou pour Andy Warhol en 1965. Elle serait ensuite devenue une zone de squat, phénomène encouragé par les différentes crises économiques ayant touché les Etats-Unis. Mais dans le fond, à part ceux qui l’utilisent, personne ne sait vraiment ce qu’il advient de cette station aux vies multiples.