Saison 9 - L’avion au carburant durable (SAF)

Épisode 1 - De quoi parle-t-on exactement ?

Avez-vous déjà essayé de sauver un objet cassé pour ne pas avoir à le remplacer ou ne pas changer vos habitudes ? Chez certains, cela consiste à recoudre encore et encore une paire de jeans trouée parce qu’elle fait de jolies fesses. D’autres continuent par exemple à écouter de la musique sur un vieil iPod à une époque où les smartphones peuvent faire décoller des fusées et où les plateformes de streaming musical pullulent. Sauf que comme le chargeur ne fonctionne plus vraiment, il faut le poser en équilibre précaire pour que la batterie se charge. Et puis, le verre de l’écran est recouvert de scotch pour ne pas partir en quenouille. Pour d’autres encore, cela consiste à rouler avec une vieille guimbarde en la réparant avec des pièces d’un autre temps pour ne surtout pas passer à la voiture électrique. Dans le monde de l’aviation, cette logique qui consiste à refuser d’abandonner une technologie destinée à mourir est regroupée sous trois lettres : les SAF. Les Sustainable Aviation Fuels, les carburants durables pour l’aviation.

Comme ce terme générique ne l’indique que de manière très imprécise, les SAF sont des carburants alternatifs au kérosène classique. Pour le dire simplement, ce sont donc des tentatives de trouver des solutions pour continuer à faire voler les quelques 23 000 avions qui circulent dans notre ciel, mais à moindre coût écologique puisque plus durables. D’ailleurs, ce nom de SAF recouvre en réalité des produits très différents les uns des autres. A commencer par les biocarburants. “On distingue trois générations de carburants bio-sourcés : les biocarburants qui utilisent les réserves amidonnées ou oléagineuses des plantes (le grain), les biocarburants issus de la conversion des tissus de soutien formés de cellulose et de lignine (la paille) et enfin les micro-organismes photosynthétiques comme les algues, capables de synthétiser de grandes quantités de molécules carbonées notamment des huiles. La première génération est industriellement à maturité et certifiée en ce qui concerne les matières premières lipidiques : huiles et graisses hydrogénées, aussi appelée HEFA (Hydroprocessed Esters and Fatty Acids)”, explique Charlotte de Lorgeril, Energy Partner au sein du cabinet Sia Partners. Elle poursuit : “Deux autres procédés sont encore en phase de développement.. D’une part, les procédés biologiques de conversion des sucres, xyloses et alcools aussi appelés ATJ (Alcool to Jet). D’autre part, les procédés de gazéification-synthèse aussi appelés FT (Fischer-Tropsch) consistent à convertir la biomasse lignocellulosique (résidus de bois, pailles de céréales, déchets forestiers…) en carburants de synthèse.


Au-delà des biocarburants, il existe également ce qu’on appelle les e-carburants, ou e-fuels en anglais, qui sont des carburants totalement synthétiques. “Les e-carburants de synthèse sont produits à base d’hydrogène. On produit d’abord de l’hydrogène « vert » à partir d’énergies renouvelables, que l’on mélange ensuite avec du CO2 pour obtenir un carburant de synthèse”, développe Charlotte de Lorgeril à propos de cet autre type de SAF. Celui-ci est notamment basé sur un procédé appelé PtL (Power to Liquid) que la chercheuse décrit ainsi : “Encore au stade de recherche et développement, il consiste à produire le biocarburant par électrolyse de dioxyde de carbone capté dans l'atmosphère ou dans les résidus de gaz industriel.”

Voilà, c’est un peu technique mais vous avez compris l’idée. Il existe globalement deux grandes catégories de SAF, la première regroupe les carburants conçus à base de biomasse et de déchets, la seconde ceux qui sont synthétiques. D’ailleurs, si nous avons décidé d’entrer dans ce niveau de détail, ce n’est ni un hasard ni une démonstration de force. C’est un choix qui vise à vous faire comprendre que le terme SAF est protéiforme, que les procédés de productions sont complexes et les filières encore largement disparates. Forcément, quand on produit d’aussi nombreux carburants, qu’on tâtonne pour savoir ce qu’on peut faire avec tel ou tel déchet, on peine à offrir une solution durable concrète et solide. Mais nous y reviendrons.


Malgré leurs différences, ces carburants d’aviation durable se retrouvent tous sur un point : ils ont logiquement vocation à être durables. C’est-à-dire à, comme l’a défini Gro Harlem Brundtland, ancienne Première Ministre de Norvège, répondre “aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs”. Sauf que bien évidemment, il ne suffit pas de dire qu’on est durable pour l’être. “Les normes et les certifications, telles que la certification ISCC-EU (International Sustainability and Carbon Certification), peuvent être utilisées pour évaluer et garantir la durabilité des SAF. Il est important de noter que des normes plus strictes et des progrès technologiques continuent d'améliorer la durabilité des SAF, cependant produire des carburants utilisables dans l’aviation est complexe. Les carburants doivent répondre à de nombreux critères (densité énergétique, densité moléculaire, points de fusion, etc…) afin de respecter les exigences de performance et de sécurité de l’aviation”, analyse encore Charlotte de Lorgeril, “Pour produire des SAF, il faut donc respecter ce cahier des charges, ce qui rend la production très complexe, et oblige le plus souvent à mélanger ces SAF avec du kérosène ou du carburant d’aviation classique.


Tadam, nous y arrivons. La plupart des SAF, malgré leurs belles promesses de décarbonatation partielle de l’aviation, doivent être mélangés à du bon vieux kérosène. Celui qu’on puise dans les entrailles de la Terre dans des conditions écologiques, humaines et géopolitiques le plus souvent désastreuses. Bref, il semblerait que le futur dans lequel l’aviation durable n’est pas une promesse de Gascon soit encore franchement incertain. En tout cas tant que nous n’aurons pas interrogé la véritable dimension écologique de ces carburants.

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