Après notre série sur les grandes ouvertures du rail, nous commençons cette semaine, une nouvelle sur les grandes nationalisations du ferroviaire européen, à commencer par celle qu’a connue l’Italie entre 1903 et 1915. Décidée dans le prolongement de la création du Royaume d’Italie, celle-ci a lieu bien avant celles qui se dérouleront à partir des années 1920 en Espagne, puis des années 1930 dans l’hexagone et sur l’île de Bretagne.
Cette histoire commence en 1861, année durant laquelle La Botte est unifiée sous le nom de Royaume d’Italie à la suite des guerres d’indépendance du Risorgimento. A l’époque, seuls 18% des 2189 kilomètres de rail existant sont sous le contrôle du tout jeune Etat. Mais ceux qui le dirigent semblent bien déterminés à faire changer les choses afin d’avoir la mainmise sur l’ensemble du réseau ferroviaire et le développer pour continuer à créer de l’unité sur leur territoire longtemps divisé. L’opération va cependant prendre un certain temps, tant le réseau ferroviaire italien est atomisé.
En 1864, après la commande de nombreuses lignes par Giuseppe Garibaldi lui-même, les choses ont un peu évolué et 566 kilomètres de voies ferrées sont désormais sous le contrôle de l’Etat italien. Le reste est un amoncellement de petites baronnies parmi lesquelles se trouvent la Società Lombarda e dell'Italia centrale (743 kilomètres), la Centrale Toscana (171 kilomètres), les Ferrovie Meridionali (482 kilomètres), les Ferrovie Romane (383 kilomètres), la Maremmana (224 kilomètres) et la Società Livornese (293 kilomètres). Au nord, la situation est encore pire puisque 502 kilomètres de rails sont répartis entre quatorze entreprises. C’est dire s’il est temps de faire quelque chose.
Face à ce constat, un premier texte capital est adopté le 14 mai 1865 : la Loi des grands groupes. Celle-ci conserve le système de concessions déjà en place mais elle le rationalise en confiant l’ensemble du rail non-étatique à cinq grandes entreprises : la Società per le Ferrovie dell'Alta Italia (environ 2 200 kilomètres), Società per le strade ferrate romane (2 060 kilomètres), la Società Italiana per le Strade Ferrate Meridionali (1 771 kilomètres), la Società Vittorio Emanuele (1 474 kilomètres) et la Compagnie Royale des chemins de fer Sardes (414 kilomètres). Une première étape capitale vient d’être franchie.
Mais ce texte ne s’arrête pas là puisqu’il impose aussi une norme unique pour la construction de chemins de fer dans tout le pays, afin de créer un réseau cohérent et le plus fonctionnel possible. Enfin, il impose de séparer clairement les voies ferrées relevant du domaine public et celles relevant du privé. Ces dernières ne recevront plus de subventions de l’Etat mais pourront toujours réaliser des prêts auprès de lui. En d’autres termes, le Royaume d’Italie utilise les armes de la concurrence de marché pour accélérer le développement de son réseau. L’histoire ne dit pas si le projet de nationalisation était déjà clairement affiché mais cela y ressemble fortement.
Il faudra pourtant attendre près de quarante années de plus pour qu’une véritable nationalisation des chemins de fer ait lieu au sein du Royaume d’Italie. Initié dès 1903, le projet se concrétise en 1905 avec la loi Fortis, du nom du Premier ministre de l’époque Alessandro Fortis, qui entre en application le 1er juillet de la même année. Celle-ci acte la création des Ferrovie dello Stato, les chemins de fer d’Etat en bon français, qui se retrouvent à la tête de 13 075 kilomètres de rails, essentiellement transférés depuis la Società per le Strade Ferrate del Mediterraneo, la Società Italiana per le Strade Ferrate Meridionali et la Società per le strade ferrate della Sicilia.
En plus des rails eux-mêmes, ce sont aussi 75 871 travailleurs, dont plus de 21 000 en contrats à durée déterminée, qui rejoignent cette nouvelle structure publique. La plupart d’entre eux provient évidemment des anciennes compagnies ferroviaires privées mais certains arrivent de l'inspection générale des voies ferrées et du ministère des Travaux publics. Une véritable armée que le premier Directeur Général des Ferrovie dello Stato, Riccardo Bianchi, va mettre à contribution pour moderniser l’ensemble du réseau.
Durant dix ans, celui que l’on peut aujourd’hui considérer comme l’un des artisans du transport ferroviaire italien moderne, s’est en effet échiné à remettre en état et à uniformiser l’ensemble de l’héritage des exploitants privés. En plus des différences techniques souvent très problématiques qui les divisaient, ces sociétés ont laissé derrière elles un matériel vétuste et parfois mal entretenu. Enfin, Riccardo mena le chantier fondamental de l’électrification de l’ensemble du rail italien. Il sera finalement remplacé après dix ans de bons et loyaux services, à l’aube de la Première Guerre mondiale. Symboliquement, son départ ferme l’ère de la nationalisation du secteur ferroviaire italien, qui ne sera rouvert que bien plus tard, comme nous en avons déjà parlé dans ces colonnes.