Notre série consacrée aux grandes nationalisations du ferroviaire européen s’intéresse au cas des chemins de fer français. Ces derniers sont définitivement passés dans le giron de l’Etat au 1er janvier 1938, en même temps que la création de la SNCF, après l'adoption d'un texte en 1937. Mais cela ne s'est pas fait en une seule étape. Au contraire, cette nationalisation s’est faite par petites touches d’interventionnisme très profondément liées à l’histoire politique du pays au XIXe et au XXe siècle. Une période qui, personne ne l’ignore, fut particulièrement agitée politiquement au sein de l’hexagone.
Contrairement à l’Italie voisine, la France a beaucoup tardé à nationaliser ses chemins de fer qui, dans la première partie de leur histoire, se sont développés plutôt loin du regard de l'État français. Et pour cause, pendant une partie du XIXe siècle, celui-ci n’a que peu d’intérêt pour ce nouveau moyen de transport. La France possède alors un réseau de routes royales et de canaux considéré comme très efficace par les autorités de l’époque pour transporter les marchandises et les passagers, et ne nécessitant donc pas d’être doublé par un réseau ferré. Ce qui n’empêche toutefois pas le pays d’accueillir la première ligne ferroviaire d’Europe occidentale à partir de 1827 : la ligne Saint-Etienne-Andrézieux.
Longue de dix-huit kilomètres, celle-ci vise à transporter la houille extraite des mines de Saint-Etienne jusqu’au réseau fluvial de la Loire. Elle est mise en service en 1827, quatre ans après que sa concession ait été accordée à deux ingénieurs. La première ligne uniquement dédiée au transport de passagers et tirée par une locomotive à vapeur est quant à elle construite sous la direction d'Eugène Flachat, à l'initiative des frères Pereire, deux entrepreneurs français qui investissent alors dans de nombreux secteurs soutenant le développement industriel. Elle est inaugurée le 24 août 1837 pour relier Paris à Saint-Germain-en-Laye. Progressivement, d’autres lignes sont ouvertes par des compagnies privées, essentiellement entre Paris et de grandes agglomérations ou entre des villes voisines d’importance moyenne, comme celle allant de Montpellier à Sète, inaugurée en 1839.
Le premier acte de nationalisation prend la forme de la Loi relative à l'établissement des grandes lignes de chemin de fer en France du 11 juin 1842. Celle-ci s’inscrit dans une volonté du gouvernement français de rattraper son retard puisque son réseau ne compte, à l’époque, que 319 kilomètres exploités sur 566 concédés, contre 2 521 en Angleterre, 5 800 aux Etats-Unis, 627 dans les États allemands et 378 en Belgique. Le texte prévoit donc un dessin précis du chemin de fer français, notamment la fameuse “étoile de Legrand” autour de Paris, du nom de Baptiste Alexis Victor Legrand, directeur général des Ponts et chaussées et des Mines de l'époque, qui en fut le principal auteur.
Mais ce n’est pas tout, cette loi instaure aussi une forme de partenariat public-privé unique qui est particulièrement bien résumé par cet extrait d’un journal de l’époque : “Cession des terrains par les communes, construction par l'État, exploitation par des compagnies, fortune générale, fortune locale, fortune privée, tels sont les trois éléments mis en jeu pour arriver à la réalisation.” A noter que l’Etat devient aussi propriétaire des terrains où passent les lignes. Cette loi encourage le développement de nombreuses compagnies ferroviaires dont les fondateurs sont captivés par les bénéfices colossaux de certains acteurs historiques du secteur.
En 1859, un nouveau texte change quelque peu la donne en répartissant toutes les lignes concédées entre six grandes compagnies ferroviaires : Compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée, Compagnie d’Orléans, Compagnie du Midi, Compagnie du Nord, Compagnie de l’Est, Compagnie de l’Ouest. Mais cet oligopole n’est pas de tout repos pour les entreprises opérant les lignes. L’Etat français les maintient sous pression et se montre toujours plus exigeant, imposant parfois la construction de lignes peu ou pas rentables pour assurer un service public de qualité à ses citoyens. Tant et si bien que la santé financière de certaines compagnies s’en ressent. Six ans plus tard, en 1865, un autre texte autorise les départements et les communes à créer des lignes ou à en concéder dans le cadre d’un chemin de fer dit “d’intérêt local”.
C’est finalement en 1878 que la véritable nationalisation commence avec l’absorption du réseau ferroviaire des Charentes par une entité appelée Administration des chemins de fer de l’Etat ou Réseau de l’Etat. Puis, les choses s’accélèrent. La Compagnie de l’Ouest, lourdement déficitaire en 1908, est nationalisée à son tour au 1er janvier 1909, tandis que le réseau d’intérêt local ne cesse de s’agrandir.
Enfin, en 1937, une nouvelle structure est créée, la Société nationale des chemins de fer français, que nous connaissons encore tous aujourd’hui sous le nom de SNCF. Le réseau passe alors dans son giron, et donc dans celui du gouvernement français, au 1er janvier 1938. Celle-ci prend la forme d’une société d’économie mixte dont l’Etat détient la majorité. Malheureusement, cette entité commence sa vie a une période bien triste de l’histoire et, dès 1940, la France est occupée par le régime nazi d’Adolf Hitler. Ce dernier exige que l’ensemble du réseau ferré soit mis à disposition du IIIe Reich dont on sait qu’il s’en servira pour accomplir le plus terrible des objectifs. Ce que l’on sait moins, c’est que de nombreux cheminots se sont battus contre cette mainmise sur le réseau ferré et la déportation d’êtres humains. Mais c’est une autre histoire que nous vous raconterons peut-être un jour.