Après un premier épisode sur la nationalisation des chemins de fer italiens au début du XXe siècle, au lendemain de la création du Royaume d’Italie, notre série se penche cette semaine sur celle de l’Espagne. Un cas bien particulier puisque, à l’époque, le pays est très en retard dans le domaine du ferroviaire et qu’il traverse une période d’instabilité politique qui débouchera sur la guerre civile espagnole, puis sur la dictature de Francisco Franco. C’est d’ailleurs ce régime qui terminera de nationaliser l’ensemble des voies ferrées du pays.
Comme nous l’avons évoqué à travers le parcours de Gustave Eiffel dans notre précédente édition, les chemins de fer français se sont grandement développés au cours du XIXe siècle. Mais dans l’Espagne voisine, les choses sont bien différentes. Le pays ne connaît pas le même développement économique que son voisin français ou que la Grande-Bretagne et il compte parmi les plus pauvres de l’Europe occidentale d’alors. Au point que la construction de sa première ligne de train ne se fait qu’en 1848, pour relier Barcelone à Mataró, toutes deux situées en Catalogne. A noter toutefois qu’une autre ligne existe avant celle-ci mais qu’elle se trouve… sur l’île de Cuba, qui appartient alors à l’Empire d’Espagne.
Face à ce constat, le gouvernement espagnol prend donc une série de décisions législatives visant à encourager l’entrée de capitaux étrangers dans le ferroviaire espagnol à partir des années 1850. En deux décennies, des dizaines de lignes de train font alors leur apparition à travers le pays pour former l’essentiel du réseau national. Mais aussi développé soit-il, ce rail se trouve entre les mains de nombreuses sociétés privées, souvent de petite taille. A partir des années 1870, plusieurs grandes compagnies ferroviaires restructurent toutefois un peu l’ensemble grâce à des séries de rachats et de fusions.
Parmi ces entreprises se trouvent notamment deux compagnies appartenant à deux familles dont nous reparlerons prochainement dans ces colonnes. La première est la Compañía de los Caminos de Hierros del Norte, aux mains des frères Péreire, qui a commencé dès 1856 par opérer sur la ligne Madrid-Irun. La seconde est la Compañía de los ferrocarriles de Madrid a Zaragoza y Alicante, créée par la famille Rothschild, qui fusionne le 1er janvier 1898 avec la Compañía de los ferrocarriles de Tarragona a Barcelona y Francia. La plupart de ces compagnies opèrent dans l’Est du pays, zone historiquement la plus riche du territoire.
Dans la partie occidentale, les choses sont un peu différentes. De nombreuses sociétés comme la Compañía del ferrocarril de Medina del Campo a Salamanca, le Ferrocarril de Medina a Zamora y de Orense a Vigo, la Compañía del ferrocarril de Salamanca a la frontera portuguesa, la Sociedad del ferrocarril de Madrid a Cáceres y Portugal et la The West Galicia Railway Company Limited se partagent un marché d’utilité publique qui est à la fois géographiquement large et particulièrement pauvre. Ce qui pousse le gouvernement espagnol à toutes les nationaliser en 1928 en les réunissant au sein de la Compañia nacional de los ferrocarriles del Oeste de España, car nombre d’entre elles sont au bord de la faillite.
Cette décision n’est pourtant pas le premier acte d’interventionnisme de l’Etat espagnol dans le domaine du ferroviaire. Dès 1897, celui-ci crée en effet une division technique et administrative des chemins de fer servant à reprendre et à exploiter provisoirement les lignes abandonnées par les opérateurs privés. En 1924, ces divisions sont au nombre de quatre, deux à Madrid, une à Barcelone et une à Malaga, afin d’assurer tant bien que mal la continuité du service ferroviaire pour les citoyens espagnols. Deux ans plus tard, en 1926, un nouvel organisme appelé la Jefatura de Explotación de ferrocarriles por el estado (EFE) voit le jour pour exploiter l’ensemble des lignes sous contrôle étatique.
L’étape suivante de la nationalisation des chemins de fer espagnols a lieu après la guerre civile qui déchire le pays entre 1936 et 1939 et aboutit à l’instauration de la dictature de Francisco Franco. Dès 1941, le nouveau pouvoir prend en effet la décision de réorganiser entièrement l’EFE avant que celle-ci ne cède l’ensemble de son réseau à la Renfe, qui porte encore ce nom aujourd’hui. A noter toutefois que cette nationalisation se fait en deux temps, qui correspondent aux deux écartements existants à l’époque sur le rail espagnol, comme nous vous en parlions à propos des débuts de celui-ci. C’est donc d’abord le réseau à écartement dit large, qui passe sous le contrôle de l’Etat en 1941. Le réseau étroit, essentiellement utilisé dans les zones montagneuses et/ou difficiles d’accès du pays, devra attendre les années 1950 pour entrer définitivement dans le giron de la dictature franquiste.