Voici une anecdote croustillante de l’histoire ferroviaire. On remonte à l’époque de la création des premiers chemins de fer et de leur genèse parfois rocambolesque!
Si le premier chemin de fer (autre que ceux utilisés pour transporter les matières premières dans les mines) trace son sillon à la fin du XVIIIe siècle, il faut ensuite attendre que l’industrie ferroviaire affine les progrès techniques nécessaires, pour que leur plein essor commence dans les années 1830. Et c’est à ce moment-là que les chefs d’Etat décident de s’en mêler tant les rails revêtent tout de l’outil rêvé de désenclavement de leurs territoires.
Certaines anecdotes valent le détour en la matière. L’une qui prête aujourd’hui le plus à sourire est assurément celle dite du doigt du Tsar. En 1841, alors que l’Europe de l’Ouest, sous l’impulsion initiale du Royaume-Uni, vit un boom ferroviaire intense, l’Empire russe n’entend pas être en reste. Bien plus qu’une velléité nationaliste mal sentie en mode “c’est moi qui ait les plus grands”, l’enjeu est essentiel pour l’une des nations les plus étendues au monde : le tsar Nicolas Ier, Empereur de toutes les Russies, y voit le moyen de justement toutes les connecter.
L’entreprise en gestation n’est pas anodine : une unique ligne ferroviaire de 25 km existe alors en Russie, celle qui relie la capitale impériale de Saint-Peterbourg à Tsarskoïe Selo, la résidence d’été du souverain. Le tsar décide de commencer par ce qui aujourd’hui encore serait le plus logique : relier Saint-Petersbourg à Moscou. Mais voilà, les ingénieurs chargés de définir le meilleur trajet ne parviennent pas à s’entendre et c’est à ce moment-là que l’empereur décide de faire valoir son droit ultime, qu’on pourrait ici appeler le fait du tsar.
Muni d’une règle, le voici qui trace une ligne droite entre les deux villes sur une carte qu’il présente aux ingénieurs en mal de consensus. Enfin, pas si droite que ça, à dire vrai. Le tsar semble en effet avoir omis de rétracter son doigt tenant la règle : alors qu’il en dépassait maladroitement, il aurait préféré tout bonnement le contourner pour poursuivre ensuite son trait rectiligne, comme si de rien n’était. Les ingénieurs ayant déjà passablement agacé son altesse, faute d’une solution tenant plus que jamais la route, personne n’aurait pipé mot et les travaux de commencer tout de go. Le tsar le veut, qu’on vous dit.
C’est ainsi que pendant près d’un siècle et demi, la ligne ferroviaire entre l’ancienne capitale impériale et la capitale actuelle de la Russie connut une anomalie au niveau de la bourgade de Verebye, connue comme le Contournement de Verebinsky, supposant un saugrenu détour de 17 km. Ce n’est en effet qu’en 2001 que la ligne de 650 km entre les deux villes deviendra enfin aussi droite que le tracé impérial d’une règle !
Naturellement, cette incongruité trouva a posteriori des explications plus pragmatiques, certains expliquant que la boucle en question aurait en réalité permis d’éviter aux locomotives de s’épuiser en passant par une colline située sur une route majestueusement tracée par la main du tsar. Le mythe du doigt du Tsar aurait donc été créé pour trouver à lui donner raison, sans pour autant appliquer sa trajectoire ? Courageuse version des faits, en quelque sorte !